L'ennemi de Dieu
Caer Sws, mais il avait trouvé la mort devant Lugg Vale
et on ne lui avait encore désigné aucun remplaçant. La maison elle-même était
en piètre état : un petit rectangle de pierre avec un épais toit de
chaume, de paille de seigle et de fougères, qui avait affreusement besoin d’être
retapée. Il y avait trois chambres à l’intérieur. La pièce centrale avait jadis
été réservée aux quelques bêtes de la ferme : nous en fîmes un lieu de
vie. Les deux autres pièces étaient des chambres à coucher : une pour
Ceinwyn, une pour moi.
« J’ai
promis à Merlin », dit-elle cette première nuit pour expliquer que nous
fassions chambre à part.
Je ressentis
des fourmillements. « Promis quoi ? »
Elle dut
rougir, mais le clair de lune ne pénétrait point dans la maison et je ne voyais
pas son visage. Je sentais seulement la pression de ses doigts dans les miens. « Je
lui ai promis, dit-elle lentement, de rester vierge tant qu’on n’aura pas
retrouvé le Chaudron. »
Je commençais
à comprendre à quel point Merlin s’était montré subtil. Subtil, pervers et
malin. Il avait besoin d’un guerrier pour le protéger dans son voyage au pays
de Lleyn et il avait besoin d’une vierge pour trouver le Chaudron. Il nous
avait donc manipulés tous les deux. « Non ! protestai-je. Tu ne peux
aller au pays de Lleyn ! »
« Seule
une vierge peut découvrir le Chaudron, nous avait sifflé Nimue depuis l’obscurité.
Devrions-nous prendre une enfant, Derfel ?
— Ceinwyn
ne saurait aller à Lleyn », insistais-je.
« Du
calme, ajouta Ceinwyn. J’ai promis. J’ai fait un serment.
— Sais-tu
ce qu’est Lleyn ? Sais-tu ce que fait Diwrnach ?
— Je sais
que le voyage là-bas est le prix à payer pour être ici avec toi. Et j’ai promis
à Merlin, reprit-elle, j’en ai fait le serment. »
Je dormis donc
seul cette nuit-là, mais au matin, après un frugal petit déjeuner avec nos
lanciers et nos serviteurs, et avant que je misse les bouts d’os dans la garde
d’Hywelbane, Ceinwyn se rendit avec moi au cours d’eau de Cwm Isaf. Elle écouta
mon plaidoyer passionné pour la dissuader de s’aventurer sur la Route de
Ténèbre, mais elle repoussa tous mes arguments, expliquant que, si Merlin était
avec nous, qui pourrait triompher de nous ?
« Diwrnach,
dis-je d’un air sinistre.
— Mais tu
accompagnes Merlin ?
— Oui.
— Alors,
ne m’en empêche pas. Je serai avec toi, et toi avec moi. » Et elle ne
voulait plus rien entendre. Elle n’était la femme d’aucun homme. Elle avait
arrêté sa décision,
Et puis, bien
entendu, nous parlâmes de ce qui s’était passé dans les tout derniers jours et
nos mots se bousculaient. Nous étions amoureux, tout aussi épris qu’Arthur l’avait
été de Guenièvre, et nous n’en savions jamais assez sur nos pensées et nos
histoires respectives. Je lui montrai la côte de porc et elle rit de bon cœur
quand je lui racontai que j’avais attendu le dernier moment pour la casser en
deux.
« Je ne
savais vraiment pas si j’aurais l’audace de me détourner de Lancelot, admit
Ceinwyn. Je ne savais pas pour l’os, bien sûr. J’ai cru que c’était Guenièvre
qui m’avait fait sauter le pas.
— Guenièvre ?
demandai-je surpris.
— Je ne
supportais pas son exultation perverse. C’est affreux de ma part ? J’avais
l’impression d’être son chaton, et ça m’était insupportable. » Elle marcha
un temps en silence. Quelques feuilles tombaient des arbres encore largement
verts. Ce matin-là, me réveillant aux premières lueurs de l’aube à Cwm Isaf, j’avais
vu un martin s’envoler de la toiture de chaume. Il n’était pas revenu et je me
disais que nous n’en reverrions pas d’autres avant le printemps. Ceinwyn
marchait pieds nus à côté du ruisseau, sa main dans la mienne. « Et je me
suis interrogée sur cette prophétie du lit de crânes, poursuivit-elle. Je crois
que ça veut dire que je ne suis pas censée me marier. J’ai été fiancée trois
fois, Derfel, trois fois ! Et trois fois, j’ai perdu l’homme. Si ce n’est
pas un message des Dieux, qu’est-ce que c’est ?
— Je
croirais entendre Nimue.
— Je l’aime
bien, répondit-elle dans un sourire.
— Jamais
je n’aurais imaginé que vous puissiez vous entendre, confessai-je.
— Et
pourquoi ça ? J’aime son goût de la bagarre. La vie appartient aux
conquérants, non aux soumis, et ma vie durant, Derfel,
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