L'ennemi de Dieu
choses ordinaires de la vie lui ont
toujours procuré un plaisir peu commun. Il rêvait d’une famille robuste dans
une maison bien bâtie et entourée de cultures bien soignées. « Nous l’appelons
Gwydre, fit-il avant de répéter le nom avec attendrissement : Gwydre.
— Un joli
nom, Seigneur. » Puis je lui fis part de la grossesse de Ceinwyn, et
Arthur décida aussitôt que ce serait une fille et que, naturellement, elle
épouserait son Gwydre le moment venu. Il passa son bras sur mes épaules et me
raccompagna à la maison où nous surprîmes Ceinwyn en train de battre la crème.
Arthur l’embrassa chaleureusement, puis la pria d’abandonner sa tâche à ses
servantes pour venir bavarder au soleil.
Nous nous
assîmes sur un banc qu’Issa avait dressé sous un pommier, juste devant la
porte. Ceinwyn lui demanda des nouvelles de Guenièvre.
« La naissance
s’est bien passée ?
— Très
bien, répondit-il en touchant une amulette qu’il portait autour du cou.
Vraiment très bien, et elle est en pleine forme ! » Puis il ajouta en
faisant la moue : « Elle craint de paraître plus âgée avec l’enfant,
mais c’est absurde. Ma mère n’a jamais fait vieille. Et d’avoir un enfant fera
aussi du bien à Guenièvre. » Il sourit, imaginant que Guenièvre aimerait
son fils autant que lui. Gwydre, bien entendu, n’était pas son premier enfant.
Ailleann, sa maîtresse irlandaise, lui avait donné des jumeaux, Amhar et
Loholt, qui étaient maintenant assez grands pour prendre place dans le mur de
boucliers, mais Arthur n’était pas pressé de les retrouver.
« Ils ne
me portent pas vraiment dans leur cœur, expliqua-t-il quand je l’interrogeai
sur leur compte, mais ils aiment bien notre vieil ami Lancelot. » Il s’excusa
d’un regard triste d’avoir prononcé son nom. « Et ils se battront avec ses
hommes.
— Se
battront ? » demanda Ceinwyn d’un ton circonspect.
Arthur lui
adressa un gentil sourire.
« Je suis
venu vous enlever Derfel, ma Dame.
— Rendez-le-moi,
Seigneur, fut son unique réponse.
— Avec
assez de richesses pour un royaume », promit Arthur avant de se tourner
vers les murs bas de Cwm Isaf et le gros toit de chaume qui nous tenait au chaud,
et le tas de fumier qu’on apercevait un peu plus loin. Elle n’était pas aussi
grande que la plupart des fermes de Dumnonie, mais c’était tout à fait le genre
de fermette qu’un homme libre pouvait espérer en Dumnonie, et nous y étions
très attachés. Je pensais qu’Arthur était sur le point de comparer ma modeste
situation présente à ma richesse future, et je m’apprêtais à défendre Cwm Isaf
contre une telle comparaison, mais un voile de tristesse assombrit son visage.
« Je t’envie
cette ferme, Derfel.
— Elle
est à vous, Seigneur, répondis-je en sentant un désir ardent dans sa voix.
— Je suis
condamné aux piliers de marbre et aux frontons qui s’élèvent. » Il s’arracha
à sa morosité par un éclat de rire et ajouta : « Je pars demain.
Cuneglas suivra dans dix jours. Voudrais-tu l’accompagner ? Ou plus tôt,
si tu le peux. Et apporter autant de vivres que possible.
— Où ça ?
— À
Corinium. » Il se leva pour contempler la vallée avant de poser à nouveau
les yeux sur moi en souriant.
« Un
dernier mot ? demanda-t-il.
— Je dois
m’assurer que Scarach ne fait pas bouillir le lait, dit Ceinwyn qui avait saisi
l’allusion. Je vous souhaite la victoire. Seigneur », dit-elle à Arthur
avant de se lever pour l’embrasser.
Arthur et moi
nous éloignâmes pour admirer les haies nouvellement plantées, les pommiers bien
taillés et la petite mare à poissons que nous avions aménagée dans la rivière. « Ne
t’enracine pas trop sur cette terre, Derfel. Je voudrais que tu rentres en
Dumnonie.
— Rien ne
me ferait plus plaisir », Seigneur, répondis-je, sachant bien que ce n’était
pas Arthur qui me tenait à l’écart de ma patrie, mais sa femme et son allié,
Lancelot.
Arthur sourit
mais ne dit rien d’autre sur mon retour.
« Ceinwyn
m’a l’air très heureuse.
— Elle l’est.
Nous le sommes. »
Il eut une
seconde d’hésitation, puis ajouta avec l’autorité d’un nouveau père : « Prends
garde que la grossesse ne la rende turbulente.
— Rien de
tel jusqu’ici, Seigneur, mais il est vrai que ce ne sont que les premières
semaines.
— Tu as
bien de la chance avec elle », observa-t-il à voix basse. Et, à
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