L'ennemi de Dieu
était d’obliger les Saxons à se battre, non pas de nous laisser
abuser par les ruines d’une ville morte. Mais Merlin ne l’entendait pas de
cette oreille :
« Je ne
viens pas pour voir une poignée de Saxons morts, me dit-il avec mépris. A quoi
puis-je être utile s’il ne s’agit que de trucider des Saxons ?
— Vous
voulez rire ! Votre magie effraie l’ennemi.
— Ne sois
pas sot, Derfel. N’importe quel imbécile peut sautiller devant une armée en
faisant la grimace et en lançant des malédictions. Effaroucher les Saxons ne
demande pas grand talent. Même ces ridicules druides de Lancelot pourraient le
faire ! Et encore, ce ne sont même pas de vrais druides.
— Ah bon ?
— Bien
sûr que non ! Pour être un vrai druide, il faut avoir étudié. Avoir passé
un examen. Avoir convaincu les autres druides que tu sais ton métier. Que je
sache, jamais aucun druide n’a examiné Dinas et Lavaine. À moins que Tanaburs
ne l’ait fait, mais quel genre de druide était-ce ? Pas un très bon, c’est
évident, sans quoi il ne t’aurait jamais laissé en vie. L’inefficacité me
navre.
— Ils
savent des tours de magie, Seigneur.
— Des
tours de magie ! railla-t-il. L’un de ces minables te sort un œuf de grive
et tu appelles ça un tour de magie ? Les grives font ça à longueur de
temps. S’il avait fait un œuf de mouton, je ne dis pas !
— Il a
sorti une étoile aussi, Seigneur.
— Derfel !
Quel homme ridiculement crédule tu fais ! s’exclama-t-il. Une étoile découpée
dans un parchemin avec des ciseaux ? Ne t’inquiète pas, j’ai entendu
parler de cette étoile et ta précieuse Ceinwyn ne court aucun danger. Nimue et
moi y avons veillé en enterrant trois crânes. Je n’ai pas besoin de te raconter
les détails, mais tu peux être assuré que si l’un de ces trois imposteurs
essaie de s’approcher de Ceinwyn il sera transformé en couleuvre. Ils auront
tout le temps de pondre leurs œufs. »
Je l’en
remerciai puis je lui demandai pourquoi au juste il accompagnait l’armée si ce
n’était pas pour nous aider contre Aelle :
« À cause
du rouleau, naturellement, me dit-il, en tapotant une poche de sa robe noire
poussiéreuse pour me montrer que le rouleau était en sécurité.
— Le
rouleau de Caleddin ?
— Tu en
connais un autre ? »
Le rouleau de
Caleddin était le Trésor que Merlin avait rapporté d’Ynys Trebes. À ses yeux, c’était
le plus précieux de tous les Trésors de Bretagne, et c’était bien normal :
le vieux document y décrivait le secret de ces Trésors. Il était interdit aux
druides de coucher par écrit quoi que ce soit, parce qu’ils croyaient qu’en
écrivant un charme son auteur perdait tous ses pouvoirs magiques. Leur
tradition, leurs rites et leur savoir ne se transmettaient donc que de vive
voix. Avant d’attaquer Ynys Mon, les Romains avaient une telle frousse de la
religion bretonne qu’ils avaient suborné un druide du nom de Caleddin et l’avaient
persuadé de dicter tout ce qu’il savait à un scribe romain. Ainsi le rouleau de
la trahison avait-il conservé tout l’antique savoir de la Bretagne. Au fil des siècles,
m’avait naguère expliqué Merlin, ce savoir s’était largement perdu, car les Romains
avaient cruellement persécuté les druides, mais aujourd’hui, grâce à ce
rouleau, il ressusciterait ce pouvoir perdu.
« Et dans
le rouleau il est question de Londres ? voulus-je savoir.
— Ça
alors, tu es bien curieux, railla Merlin, mais peut-être parce qu’il faisait
beau et qu’il était d’humeur enjouée, il se laissa fléchir. Le dernier Trésor
de la Bretagne se trouve à Londres. En tout cas, il y était, s’empressa-t-il de
rectifier. Il est enterré là-bas. Je pensais te donner une bêche et te charger
de le déterrer, mais tu ferais un joli gâchis. Vois ce que tu as fait à Ynys
Mon ! Inférieurs en nombre et cernés. Impardonnable. Alors j’ai décidé de
m’en charger moi-même. Il faut d’abord que je découvre où il est enterré, bien
entendu, et ça pourrait être délicat.
— Et c’est
pour cela que vous avez apporté les chiens ? »
Car Merlin et
Nimue avaient rassemblé une pitoyable meute de bâtards hargneux, qui accompagnaient
maintenant l’armée. Merlin soupira.
« Derfel,
laisse-moi te donner un bon conseil. On n’achète pas un chien pour aboyer
soi-même. Je sais à quoi servent les chiens, Nimue le sait aussi, et toi, tu
Weitere Kostenlose Bücher