L'ennemi de Dieu
excité en retrouvant
la lumière du soleil. Nous allons restaurer le christianisme dans le pays de Llœgyr,
Derfel. Un signe de victoire ! »
Pour Galahad,
peut-être, mais cette vieille église faillit être la cause de notre défaite. Le
lendemain, comme nous avancions dans l’est en direction de Londres et que nous
touchions au but, le prince Meurig préféra rester à Pontes. Il envoya les
chariots avec le gros de leur escorte, mais garda cinquante de ses hommes pour
débarrasser l’église de son écœurante crasse. Meurig, comme Galahad, avait été
vivement ému par l’existence de cette ancienne église et décida de reconsacrer
le sanctuaire à son Dieu. Ainsi demanda-t-il à ses lanciers de laisser de côté
leur accoutrement de guerre pour débarrasser l’édifice de la bouse et de la paille
afin que les prêtres qui l’accompagnaient pussent dire les prières nécessaires
et restaurer la sainteté de l’église.
Et pendant que
l’arrière-garde retournait la bouse, les Saxons qui nous suivaient arrivèrent
au pont.
Meurig s’échappa,
mais la plupart de ses fouille-merde trouvèrent la mort, ainsi que deux
prêtres. Puis les Saxons se lancèrent sur la route et s’emparèrent des
chariots. Le reste de l’arrière-garde essaya de leur tenir tête mais fut vite
débordé et encerclé. Les Saxons les rattrapèrent et se mirent à abattre les bœufs
un par un, si bien que les chariots se trouvèrent immobilisés et tombèrent
entre les mains de l’ennemi.
Le fracas des
armes était parvenu jusqu’à nous. L’armée s’arrêta et les cavaliers d’Arthur
retournèrent au galop sur le théâtre du carnage. Aucun n’était convenablement
équipé pour la bataille, car il faisait tout bonnement trop chaud pour qu’un
homme supportât son armure à longueur de journée. Leur soudaine apparition
suffit pourtant à mettre en fuite les Saxons, mais le mal était fait. Dix-huit
des quarante chariots étaient immobilisés et, sans les bœufs, il nous faudrait
les abandonner. Les Saxons avaient eu le temps de les saccager et de répandre
sur la route les barils de notre précieuse farine. Nous fîmes notre possible pour
récupérer la farine et l’envelopper dans des manteaux, mais cela ferait du pain
truffé de poussière et de brindilles. Dès avant le raid, nous avions réduit nos
rations, estimant que nous avions encore de quoi tenir deux semaines. Mais
maintenant, vu que la majeure partie des provisions se trouvait à l’arrière-garde,
il nous fallait envisager de cesser la marche dans une semaine seulement. Et
encore aurions-nous à peine de quoi tenir pour rentrer sains et saufs à Calleva
ou à Caer Ambra.
« Le
fleuve est plein de poissons, fit valoir Meurig.
— Grands
Dieux ! Encore du poisson, grogna Culhwch, qui se souvenait des privations
des derniers jours d’Ynys Trebes.
— Il n’y
a pas assez de poisson pour nourrir une armée », répliqua Arthur en
colère. Il aurait bien voulu engueuler Meurig, lui faire honte de sa sottise,
mais Meurig était un prince, et son sens des convenances lui interdisait à
jamais d’humilier un prince. Si c’était Culhwch ou moi qui avions divisé l’arrière-garde
et ainsi exposé les chariots, Arthur aurait explosé, mais la naissance de
Meurig le protégeait.
Un Conseil de
guerre eut lieu au nord de la route, qui ici traversait une morne plaine
parsemée de bosquets, avec des talus envahis de ronces et d’aubépines. Tous les
commandants en étaient. Par douzaines, d’autres hommes de moindre rang s’approchèrent
pour entendre nos discussions. Naturellement, Meurig déclina toute
responsabilité. Si on lui avait donné davantage d’hommes, jamais la catastrophe
ne serait survenue. « Qui plus est, dit-il, et vous me pardonnerez ce
rappel, mais j’avais cru la chose assez évidente pour m’épargner une explication :
une armée qui ignore Dieu ne saurait triompher.
— Alors
pourquoi Dieu nous a-t-il ignorés ? demanda Sagramor.
— Ce qui
est fait est fait, trancha Arthur pour faire taire le Numide. Occupons-nous de
la suite. »
Mais la suite
des événements dépendait d’Aelle plutôt que de nous. Il avait remporté la
première victoire, même s’il ne mesurait peut-être pas l’ampleur de son
triomphe. Nous nous étions enfoncés de plusieurs kilomètres au cœur de son territoire,
et nous risquions de manquer de vivres sauf à piéger son armée, à la détruire
et à investir un territoire qui n’avait
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