L'ennemi de Dieu
Meurig. Nos
éclaireurs avaient écumé les bois qui poussaient de part et d’autre de la route
et n’avaient vu ni flairé le moindre Saxon. Mais Arthur se méfiait encore :
« Si j’étais à leur place, je laisserais notre armée traverser, puis j’attaquerais
les chariots. » Il avait donc décidé de dépêcher une avant-garde sur l’autre
rive, de mettre les chars à l’abri de ce qu’il restait du vieux mur de terre
délabré et, après seulement, de faire franchir le pont au gros des troupes.
Ce sont mes
hommes qui formèrent l’avant-garde. Sur l’autre rive, les bois étaient moins
épais et si certains des arbres restants étaient assez serrés pour dissimuler
une petite armée, nul n’apparut pour nous défier. Le seul signe de la présence
des Saxons était la tête tranchée d’un cheval qui nous attendait au milieu du
pont. Aucun de mes hommes ne devait faire un pas au-delà avant que Nimue eût
conjuré le mal. Elle se contenta de cracher sur la tête. La magie des Saxons,
fit-elle, ne vaut pas tripette. Sitôt le mal dissipé, Issa m’aida à balancer le
crâne pardessus le parapet.
Mes hommes
montèrent la garde le temps que traversent les chariots et leur escorte.
Galahad m’avait accompagné et vint avec moi examiner les bâtiments romains.
Pour je ne sais quelle raison, les Saxons répugnaient à se servir des colonies
romaines, auxquelles ils préféraient leurs salles de bois et de chaume. Mais
tout récemment encore ces lieux étaient habités, car les âtres contenaient des
cendres et certaines pièces étaient bien tenues. « Ça pourrait être des
nôtres », observa Galahad, car de nombreux Bretons vivaient parmi les
Saxons, beaucoup comme esclaves, mais quelques-uns aussi en hommes libres qui
avaient accepté la domination étrangère.
Apparemment,
ces bâtiments étaient d’anciennes casernes, mais il y avait aussi deux maisons
et, en poussant une porte brisée, ce que j’avais pris d’abord pour un immense
grenier nous apparut comme une écurie où l’on enfermait le bétail la nuit pour
le protéger des loups. Le sol était un bourbier profond de paille et de merde
qui puait si fort que j’aurais quitté le bâtiment séance tenante si Galahad n’avait
aperçu quelque chose dans l’ombre, à l’autre extrémité. Je le suivis en
pataugeant dans la fange.
Ce n’était pas
un simple mur droit à pignons, mais un mur brisé par une abside. Tout en haut,
sur le plâtre peint de l’abside, à peine visible sous des années de crasse et
de poussière, on apercevait un symbole : un genre de grand X avec un P superposé.
Galahad fixa le symbole et fit le signe de la croix.
« C’est
une ancienne église, Derfel, fit-il émerveillé.
— Qu’est-ce
que ça pue !
— Il y
avait des chrétiens ici, fit-il en considérant le symbole avec respect.
— Il n’y
en a plus ! »
L’affreuse
puanteur me faisait frémir et j’avais le plus grand mal à chasser les mouches
qui vrombissaient autour de ma tête. Mais Galahad s’en fichait pas mal. Il
enfonça le talon de sa lance dans la masse compacte de bouse de vache et de
paille pourrie et finit par dégager un petit bout de sol. Sa découverte le fit
redoubler d’efforts jusqu’à ce qu’il eût fait apparaître le buste d’un homme en
petits carreaux de mosaïque. L’homme était habillé comme en évêque avec un
genre d’auréole autour de la tête. Dans sa main tendue, il portait un petit
animal au corps maigrelet et avec une grosse tête poilue.
« Saint
Marc et son lion, m’expliqua Galahad.
— Je
croyais que les lions étaient des bêtes énormes, fis-je déçu. Sagramor dit qu’ils
sont plus gros que des chevaux et plus féroces que des ours. À peine un chaton,
conclus-je en examinant l’animal tout crotté.
— C’est
un lion symbolique », reprit-il d’un air de reproche. Il voulut dégager
une plus grande partie du sol, mais la crasse était trop ancienne et collante.
« Un
jour, je bâtirai une grande église comme celle-ci. Une église immense. Un
endroit où tous les gens pourront venir prier leur Dieu.
— Et
quand tu seras mort, fis-je en l’entraînant vers la porte, un salaud y fera
hiverner dix troupeaux de bétail et t’en saura gré. »
Il insista
pour rester une minute de plus et, tandis que je tenais son bouclier et sa
lance, il ouvrit grands les bras et offrit une nouvelle prière dans un ancien
lieu de culte. « C’est un signe de Dieu, fit-il tout
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