L'enquête russe
M. de Vergennes que les officiels contacts sont d’ambassadeur à ministre ?
— Mille grâces, il n’y a point là convocation. Les termes de mon billet auraient dû vous avertir et détourner votre sensibilité de cette image-là. Parlons, si vous le voulez bien, d’une conversation officielle certes, mais d’une conversation.
— Mais où est M. de Vergennes ? dit Franklin, en feignant de le chercher du regard.
— Vous l’avez devant vous, cher ambassadeur. Le ministre, retenu à Versailles par la cérémonie de la Fête-Dieu, m’a délégué en cette occurrence le soin et le privilège de recevoir l’ambassadeur américain afin de démêler avec lui les arcanes d’une affaire dans laquelle paraît un de ses compatriotes. Je jurerais qu’il y a sans doute malentendu. Mais que Votre Excellence veuille bien prendre place.
Le Noir fit le tour de son bureau et désigna un fauteuil à Franklin dont la mine s’assombrissait.
— Tout d’abord, comment se porte le si charmant M. Smith, attaché de votre ambassade ?
— Vous moquez-vous ? Le voici, et de surcroît lié.
— À Dieu ne plaise ! Non, non, non, vous vous méprenez, il s’agit d’un certain – ou incertain ? – M. Galbraith, de son prénom James.
Les besicles de Franklin s’embuèrent. Était-ce la rage qui faisait fulminer le vieux lutteur ? Son français se ressentit de cette fureur.
— What ? What ? Le joke isn’t point mon goût. Signifier quoi ? Vouloir prouver quoi ? Regrette beaucoup.
— Vous me voyez au dernier désespoir, mais cet individu a été arrêté à La Rochelle cherchant à embarquer sous le faux nom de James Galbraith,car vous ne sauriez imaginer que je puisse douter de la parole du plénipotentiaire américain qui me l’a officiellement présenté comme étant M. Smith de sa chancellerie et qui d’ailleurs continue à l’affirmer, au mépris de toute évidence, Excellence.
— Monsieur !
— Je ne retire rien de ce que je viens de dire et réitère ma demande d’explication voulue, je devrais dire exigée par M. de Vergennes.
Jamais Nicolas n’avait vu Le Noir faire preuve d’une telle assurance et autorité. Il semblait transformé. Était-ce parce qu’il parlait au nom du roi ? Il y eut un long moment où chacun se mesura. Le Noir se plongea dans des papiers entassés sur son bureau et les examina avec une attention insultante. La canne de M. Franklin battait la mesure sur le parquet à un rythme inquiétant.
— Vous me refusez rendre M. Smith sur-le-champ, donc ?
— Dans les conditions présentes, je vous confirme, à mon regret, mon refus d’y consentir.
— Je devrai manger le chapeau à moi, aussi ?
— Ce serait indigeste ! Plaise à Dieu que nous ne poussions pas jusque-là ! Il me semble qu’entre gens d’honneur et de bonne compagnie, il y a toujours un terrain d’entente à trouver. Nous sommes alliés contre l’Angleterre et la paix, je dirais même la victoire, se profile pour nos armes, dois-je vous le rappeler ? Ce présent débat est-il, je vous le demande, à la hauteur de ces enjeux et nous ancrerons-nous dans notre mésentente sur un point si misérable ? Il me semble que seules la sincérité et la vérité sont à la mesure de ce que vous représentez, monsieur Franklin. C’est avec mon cœur que je vous dis ceci. Tirez-en les conclusions obligées.
— Obligées, c’est le mot ! Mais je vous entends, monsieur Le Noir.
Il soupira et essuya ses besicles.
— Je vais tout vous dire.
Smith fit un mouvement, que chacun remarqua.
— It is my duty , lui lança l’ambassadeur.
Il se leva et fixa Le Noir.
— Monseigneur, c’est longue histoire. M. Smith n’est pas l’attaché prétendu par moi. Galbraith est son nom. C’est un envoyé du Congrès américain auprès des Russes. Oh ! Ne rien craignez à vous, il ne pas traiter des négociations à venir, mais plutôt échanges commerciaux.
— Puis-je suggérer qu’il s’agit de ventes d’armes ?
— Possible, possible. Je vais vous dire tout comme on doit à un bon, véritable allié et ami. M. Galbraith…
L’intéressé s’agita en faisant de la tête des signes de dénégation.
— Il n’y a pas moyen d’autre voie, James. Je dois tout révéler à nos amis. Le plus ne peut être emporté par le moins…
Décidément, chacun se noblecourise, songea Nicolas.
— … il était en Russie pour user de son influence. Il a cru utile d’approcher le
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