L'enquête russe
vérité.
— Comment préparer la suite ?
— Il est exclu que vous suiviez le prince partout. À nous de renforcer la surveillance des lieux qu’il visite et de l’environner de nos gens les plus habiles. Je crois et je crains que la vraie menace réside au plus près du tsarévitch, à l’intérieur même des murs de l’ambassade impériale. Tout est si fragile et si peu susceptible de prévisions que toutes les précautions pour se garantir du pire sont nécessaires mais, hélas, souvent inutiles.
Nicolas se mit à rire pour la première fois depuis son entrée à l’hôtel de police.
— Soit ! À vous entendre la seule sauvegarde serait de consulter la dame Paulet, maquerelle de vocation et prophétesse d’occasion. Elle m’a souvent tiré de mauvais pas.
— Je m’en remets plutôt à votre sagacité. Il faut raison et calme garder. Nous ne sommes pas au bout de nos surprises, je le redoute.
C’est l’esprit agité que Nicolas requit une voiture. Un temps sans obligation aucune lui était nécessaire. Pas vraiment un moment de réflexion, mais l’occasion de laisser sa capacité de raisonnement au repos. Il savait d’expérience que ces pauses apparentes n’arrêtaient pas le travail intérieur de la déduction. Jadis au collège des jésuites de Vannes, il avait souvent fait l’expérience de ce travail secret. Telle version latine dont les difficultés lui semblaient insurmontables se trouvait par miracle éclaircie et ses obscurités traduites après une nuit de sommeil. Cette latence de l’effort renforçait les talents cachés et possédait des mérites insoupçonnés ; une longue promenade pouvait la remplacer, avec des résultats identiques.
Il donna ordre de faire ce qu’il nommait le grand tour au-delà des boulevards vers des quartiers nouveaux qui s’élevaient comme des champignons. Il constata une nouvelle fois les métamorphoses de la ville. D’antiques monuments étaient environnés de maisons en construction. Partout des grues faisaient monter les pierres de taille autour de nouveaux édifices. Dans les plaines voisines de la ville s’élevaient ces roues de vingt à trente pieds de diamètre, instruments obligés de l’extraction de pierres gigantesques. Cette activité sans cesse grandissante avait fourni carrière à une nouvelle race d’entrepreneurs qui tenait la dragée haute aux propriétaires. Tous se liguaient en cas de fraude ou de malfaçons. L’argent coulait à flot chez ces nouveaux Crésus. L’architecte devenait le grand maître d’une foule d’activités dont les devis étaient à sa seule disposition, accumulant les prétextes pour justifier et exiger des augmentations et des dépassements de crédits. L’idée lui vint de faire une courte incursion rue Montmartre. La sagesse et l’aménité de M. de Noblecourt lui manquaient.
Une mauvaise surprise l’accueillit. Dans le salon du premier, le vieux procureur recevait et tenait salon de musique. À l’œuvre devant le clavecin, Balbastre, le compositeur, jouait, son vieux visage outrageusement maquillé se levant en adoration sur Aimée d’Arranet, qui tournait les pages de la partition. La vue de son vieil ennemi en vieux galantin transit de rage Nicolas. Cette soirée raviva de tristes souvenirs. Il se revit un certain soir chez sa maîtresse, Mme de Lastérieux. Le musicien était déjàprésent… Resurgit, poignant, le sentiment d’une exclusion. Depuis, la paix s’était faite entre eux sous la bénédiction de M. de Noblecourt. Cette cessation des hostilités ne modifiait pourtant pas les sentiments de Nicolas. De loin, Aimée lui fit un petit signe de tête plus ironique qu’aimable. Il se mêla, en apparence indifférent, à la conversation entre l’hôte et M. de La Borde.
— Savez-vous, Nicolas, ce qu’est une canne à la Barmécide ?
— Point. Je sais seulement que M. de la Harpe, qui vient de se singulariser chez les quarante pour une adresse dévotieuse au comte du Nord, a écrit une pièce intitulée Les Barmécides qui ne passe pas pour un succès.
— Justement, mon ami, dit La Borde. À l’occasion de cette séance solennelle, les épigrammes sur l’auteur tombent dru comme grêle à Paris. On rappelle que lors de la représentation de cette pièce, des marchands, malins comme le sont nos Parisiens, proposaient des cannes à la Barmécide. Une dame de la cour s’étant inquiétée de la signification de ce terme auprès du marchand, celui-ci
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