L'enquête russe
comte de Rovski en espoir lui détenir grande influence sur l’impératrice Catherine II, de qui dans ce pays tout dépend. Or elle n’accouple pas Mars et Vénus et le favori n’était point en mesure d’influer dans ce domaine. Faute de s’adresser à d’autres qui, moyennant finances, eussent pu l’aider, il commit la grande faute d’utiliser ailleurs les fonds importants remis par Galbraith pour acheter interventions. Il les a pourris…
— Gâchés ? Perdus ?
— Oui, gâchés, perdus, à un jeu d’enfer. Un moment Rovski en disgrâce s’embarque. Galbraith le suit et le relance sur le bateau. Il le poursuit jusqu’à Paris où il loge chez moi à Chaillot. Je le fais passer pour un attaché… comme vous savez.
— Bien, bien ! dit Le Noir. Voilà qui est clair. Reste le sombre que Votre Excellence va devoir, je le crains, suggérer à M. Galbraith d’éclairer en répondant sincèrement aux questions que monsieur le marquis de Ranreuil va lui poser sur ce qui s’est passé à l’hôtel de Vauban dans la chambre du comte de Rovski.
— J’y consens. Au point où nous en sommes. James, la responsabilité est mienne. Soyez clair avec M. de Ranreuil, que je connais bien et que j’estime.
— Monsieur, dit Nicolas, parlez-vous notre langue ? Dans le cas contraire, j’userai de la vôtre.
— Oui, parfaitement.
— Très bien ! Avez-vous cherché à rencontrer le comte de Rovski à Paris ?
— Oui.
— Dans quelles conditions ?
— J’ai suivi le comte jusqu’à Paris. Il ne m’a pas été difficile de connaître l’hôtel où il était descendu. À plusieurs reprises je me suis présenté à lui…
— Rue de Richelieu ?
— Non, à l’extérieur. Dans un cercle de jeu notamment.
— Quel était-il ?
— Celui de la rue de la Sourdière. Je lui ai représenté tout ce que signifiait son attitude. Recevoir des sommes considérables, ne pas les utiliser dans les conditions prévues, et non seulement cela, mais les dilapider à tout va, chez les filles et au jeu. Iln’a rien voulu entendre, m’a brutalement éconduit. Cela ne m’a pas découragé et j’ai décidé de le prendre au nid, c’est-à-dire dans sa chambre d’hôtel, là où il ne pourrait pas s’échapper et où je pourrais peut-être récupérer quelques lambeaux de la fortune que je lui avais confiée. J’ai étudié avec soin les habitudes de la maison. Dans l’attente de l’arrivée du comte du Nord, les appartements étaient vides et seul demeurait dans les lieux le comte de Rovski. Il s’agissait pour moi de m’y introduire afin d’avoir ce vrai tête-à-tête qu’en vain j’avais recherché. Pour cela il me fallait obtenir coûte que coûte la clé de la chambre en question…
Il hésita un moment.
— Alors ? Quelle solution avez-vous trouvée à ce problème ?
— J’ai fait affaire avec le valet du comte de Rovski. J’avais remarqué au jeu ce personnage plus que louche. Il m’était apparu appartenir à cette race de crocs dont on peut tout espérer moyennant finance. J’ai donc marchandé avec lui et obtenu qu’il me confie une clé qui me permettrait de m’introduire dans la chambre de son maître.
— Vous souviendriez-vous par hasard de la couleur du pompon attaché à cette clé ?
— Point. Mon souci était autre à ce moment-là et je n’y ai pas prêté attention.
— Le soleil était couché, donc ? À quelle heure estimez-vous vous êtes trouvé à pied d’œuvre ?
— Je pense vers la demie de huit heures.
— Reprenons. Vous vous êtes introduit dans ladite chambre, que s’est-il passé alors ?
— J’ai découvert le comte en déshabillé et déjà pris de boisson au point d’avoir du mal à comprendre qui j’étais et à me remettre. La conversation, si je puis nommer ainsi ce décousu de paroles, n’aboutit qu’à susciter la fureur écumante de l’ivrogne. Je n’obtins rien et, même, il se jeta sur moi, cherchant à m’étrangler. Heureusement que les vapeurs de son état affaiblissaient ses efforts, sinon j’aurais été contraint de me défendre autrement.
— Qu’est-ce à dire ?
— Que j’étais armé d’un pistolet dont j’étais décidé à user si le péril m’y contraignait. Finalement je l’ai repoussé sur son lit et c’est à ce moment que la chaîne portant la médaille, ou plutôt la monnaie, s’est rompue et que, sans m’en rendre compte, je l’ai perdue.
— Et vous vous êtes
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