L'enquête russe
atelier-refuge avait évoqué, non sans jubiler, l’incident. Il s’était même ouvert, lui d’habitude si secret, du déplaisir ressenti à la publication de l’ouvrage de Necker sur les comptes du royaume et que l’essai ait été soumis au public pour nourrir un parti au lieu de l’adresser comme il convenait à son successeur aux finances. Il n’était plus que défiance envers le banquier suisse à qui il reprochait de faire le câlin dans les lettres qu’il continuait à lui adresser. Le comte du Nord à l’issue de son long entretien avec Necker sortit moins enthousiaste. Dès qu’ils furent dans le carrosse, il demanda à la cantonade si quelqu’un connaissait la fable des Bâtons flottants sur l’eau . Chacun se regarda ébahi, sauf Nicolas qui cita :
On avait mis des gens au guet,
Qui, voyant sur les eaux de loin certain objet,
Ne purent s’empêcher de dire
Que c’était un puissant navire.
Quelques moments après, l’objet devint brûlot,
Et puis nacelle, et puis ballot,
Enfin bâtons flottants sur l’onde.
J’en sais beaucoup, de par le monde,
À qui ceci conviendrait bien.
De loin, c’est quelque chose, et de près, ce n’est rien.
— Prenez exemple sur le marquis de Ranreuil, dit Paul, riant aux larmes. Il sait galamment rendre hommage à mon goût des écrivains de ce pays et, en particulier, à l’auteur des Fables . Sa fontaine coule de source…
XI
LE BAL DE LA REINE
« Chaque mouvement du paon produit des milliers de nuances nouvelles, de gerbes de reflets ondoyants et fugitifs sans cesse remplacés par d’autres reflets et d’autres nuances. »
Buffon
Samedi 8 juin 1782
Nicolas quitta le comte du Nord à la mi-journée après l’avoir accompagné au palais du Luxembourg et au Jardin du roi. Chacun devait s’apprêter pour le grand bal de la reine. Rue Montmartre, il retrouva Louis que la perspective de la soirée mettait sur les charbons. Noblecourt se plaignit de sa désertion, à l’instar de Mouchette qui boudait, et l’accabla de questions sur l’enquête en cours. Le vieux magistrat, après avoir un temps médité les nouvelles que lui apportait Nicolas, déplora en soupirant qu’il fût non seulement mêlé aux intrigues de la cour et de laville du royaume, mais désormais à celles qui menaçaient l’héritier de l’empire russe.
— J’espère, conclut-il, que vous ne tirez pas les marrons du feu pour autrui. Il y a dans cette affaire plus de sombre que de clair et j’augure mal la conclusion.
Maître Vachon avait tenu parole, les habits de cour resplendissaient, couchés sur leur enveloppe de papier de soie. Le père et le fils étaient impatients de les revêtir, mais Catherine surgit, une cuillère menaçante à la main. Il n’était pas question qu’ils abordent cette longue journée qui se prolongerait une partie de la nuit sans dîner auparavant de choses saines, ce qui n’était pas le cas des buffets du roi, à ce qu’elle savait d’une commère dont le fils travaillait aux cuisines du château. Les mets par la chaleur montante de l’été tournaient ; ils les mettraient sur le flanc plus vite que le temps de le dire. Ils capitulèrent et se régalèrent d’andouillettes que Catherine enveloppait dans des pâtons et cuisait dans le feu de son potager pour, avant de les servir, les ouvrir et les arroser d’un semis d’échalotes mouillées de vin blanc à la moutarde dont le réduit imbibait le plat. Suivirent une salade aux œufs durs et une assiettée de fraises au vin rouge dont le sirop avait été agrémenté d’une lancée de schnaps.
Tout en mangeant, ils se remémorèrent les leçons des académies où l’un et l’autre avaient acquis les rudiments de la danse.
— Ton grand-père, le marquis de Ranreuil, danseur réputé, avait coutume de citer le grand roi, qui affirmait que c’était l’art le plus honnête et des plus nécessaires à former le corps et à lui donner les premières et les plus naturelles dispositions , et, ajoutait Nicolas, le plus propre à former des guerriers.
— C’est pourquoi sans doute l’enseigne-t-on associée à l’escrime et à l’équitation. Déjà, chez les pages, le rudiment nous en était inculqué.
Nicolas se mit à rire.
— Bien. Alors rappelle-moi ce que tu as appris. Cela me dérouillera la mémoire. Tiens, pour la contredanse.
— Mon avis est que moins on y réfléchit, mieux on se déplace !
— Ah ! Il recule, le coquin. J’espère que
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