L'enquête russe
la reine ne t’invitera pas. Elle danse à merveille.
Ils remontèrent dans leurs appartements. La question s’était posée de la coiffure à adopter. Les Ranreuil ne pouvaient porter leur chevelure en catogan à un bal de cour et répugnaient à la perruque. Ils étaient convenus d’avoir recours à un coiffeur qui arrangerait des boucles en rouleaux poudrés à l’instar du roi. Ils y avaient eu recours le matin même chacun de son côté. Quand ils descendirent à l’office, ce fut une clameur d’admiration de la part de Marion, de Catherine et de Poitevin. Dans le miroir, Nicolas, dans son bel habit sur lequel tranchaient le noir du cordon de Saint-Michel et le rouge du ruban de la Croix de Saint-Louis, crut se trouver en présence de son père et Louis, que la coiffure et la poudre vieillissaient, pensa de son côté avoir le sien devant lui. L’un et l’autre eurent le sentiment de la continuité de leur famille, en éprouvant à la fois l’orgueil et l’humilité. Ils n’étaient, parmi toute la cohorte des Ranreuil au fil des siècles, que des maillons d’une longue chaîne.
Un équipage de la police vint les prendre à l’heure dite. Louis tout au long du parcours demeura silencieux, l’âme sans doute exaltée par la perspectivede la soirée à laquelle il allait participer par faveur inouïe de la reine.
Depuis la place d’armes, le château illuminé, vaisseau étincelant, paraissait flotter, entre ciel et terre. À la porte du salon d’Hercule, un huissier cérémonieux écrivait les noms des arrivants. Nicolas repéra, dissimulés dans l’immense pièce, des policiers de surveillance dont les habits et les manières ne dénotaient pas. La presse était telle dans la grande galerie qu’en la parcourant on semblait être porté d’un bout à l’autre sans toucher terre. Les bougies, les girandoles et les candélabres dispensaient une lumière éclatante. Il suffisait de cligner des yeux pour distinguer un fleuve de feu avec, en son milieu, une foule innombrable dont l’image tremblée, reflétée par les glaces, se multipliait à l’infini. La chaleur était extrême et développait les odeurs des corps en sueur dans le brocart, le satin et la soie, gâtant la fragrance des parfums destinés à les masquer.
Le couple russe était mêlé à la foule, entouré d’un cercle respectueux. La toilette de la grande-duchesse réunissait tous les suffrages. On admirait surtout ses calcédoines et sa broche d’émeraude et diamants, joyaux réputés que toutes les cours d’Europe lui enviaient. Une rumeur enfla bientôt, éteinte aussi vite que levée, par les ordres des gardes du corps et le choc des hallebardes sur le marbre annonçant l’arrivée de la famille royale et de leurs services. Rien ne pouvait égaler le coup d’œil sur cet ensemble encore sublimé par la richesse des parures et le chatoiement des bijoux. Le roi invita le comte et la comtesse du Nord à s’asseoir. Ils demeurèrent debout et un échange aimable s’engagea. Puis la reine, toute de grâce et de majesté, ouvrit le bal avecle prince Paul. Un murmure d’admiration enfla tout au long de la contredanse tant elle semblait l’incarnation de la beauté.
Nicolas, qui s’était approché, vit soudain le roi qui, de sa haute taille, dominait l’assemblée quitter son air bonhomme, froncer le sourcil et fixer un point dans l’assistance. Réputé ayant la vue basse, il avait en fait une excellence vision de loin. Il appela le prince de Poix et, Nicolas soucieux s’étant approché, il entendit Louis XVI s’inquiéter de la présence d’un officier qu’il ne connaissait pas et qui ne lui avait jamais été présenté. Le roi, ayant aperçu Nicolas, lui fit signe de suivre le prince. Tous deux se frayèrent un difficile chemin jusqu’à l’inconnu. Aux questions posées, celui-ci répondit se nommer le comte de Luçon, capitaine à la suite du régiment de Champagne et que, n’étant point colonel, il ne pouvait être encore présenté, mais qu’il était destiné à l’être. Le roi, informé, ordonna qu’on eût à le faire partir incontinent pour son régiment et salua Nicolas avec aménité.
— Je remercie Votre Majesté, glissa le grand-duc qui reconduisait Marie-Antoinette, de m’avoir prêté le marquis de Ranreuil pour assurer ma sûreté durant mon séjour à Paris.
Le roi eut un sourire impénétrable et ne répondit pas. À cet instant, le maître de cérémonie prévint
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