L'enquête russe
vos mouvements me sera signalé. Je vous conseille donc la prudence la plus sourcilleuse. Et j’ajoute, car la police sait tout en France, que l’an dernier vous fîtes réparer une broche à portrait chez M. Böehmer… Cela vous chante-t-il quelque chose ?
Et il disparut sur cette dernière flèche. Comme pour l’exempt dans le fiacre, cette vieille astuce policière ne manquait jamais son effet. Il n’était pas ditqu’une surveillance ne serait pas organisée à tout hasard.
Sa voiture enfila la rue de Nevers jusqu’au quai de Conti où elle prit à gauche pour rejoindre, par les quais et les rues Saint-Roch et Neuve-des-Petits-Champs, l’Hôtel de Lévi. Là, il retrouva Bourdeau qui piaffait d’impatience, ne l’ayant trouvé ni rue Montmartre ni au Châtelet.
Il se mit à bougonner et à enfiler des phrases sans suite à la mesure de l’angoisse ressentie. Son émotion redoubla au récit concis de l’aventure. Il supplia Nicolas de prendre garde à lui et d’éviter les imprudences solitaires. Il était passé à la basse-geôle où avaient été apportés les cadavres des rufians tués dans la nuit. Le premier examen des corps avait révélé qu’ils portaient des marques d’infamie et qu’il s’agissait sans doute de prisonniers en fuite. Restait à comprendre les raisons de leur présence en France au service d’une princesse. Nicolas lui relata sa conversation avec la dame à portrait. Les éléments recueillis à cette occasion confirmaient ce qu’ils supposaient. Ces deux-là avaient sans doute, en raison de leurs qualités , été recrutés pour servir d’hommes de main et de gardes du corps de la princesse de Kesseoren, possible espionne patentée du pouvoir impérial.
À l’Hôtel de Lévi, les illustres visiteurs dormaient encore, n’étant revenus des fêtes de Versailles qu’à quatre heures du matin. L’inévitable Nikita accueillit Nicolas et l’inspecteur. Au point où en était l’enquête, Nicolas décida de brusquer les choses. Il avait jusqu’à présent été empêché par les circonstances de visiter les quartiers du majordome. Certes le personnage, dont il n’avait pas à seplaindre et qui lui avait avec patience apporté son aide, n’appartenait pas au cercle étroit des suspects, mais son expérience lui avait enseigné ne devoir rien négliger.
— Je dois poursuivre, dit-il, ma visite des chambres du domestique et de la suite. Puis-je vous demander de me conduire à votre logement ?
Aucune expression ne passa sur le visage égal du majordome. Tout était lisse chez cet homme-là.
— Je crains que le désordre qui y règne ne soit un obstacle à cette visite. Un peu plus tard, si cela vous convient ? Je vais, de ce pas, disposer mes effets d’une manière digne et vous reviens chercher.
Il se précipitait quand Bourdeau se mit par son travers avec une mimique si menaçante que l’homme s’arrêta dans son élan.
— Halte-là, l’ami ! Nous t’allons accompagner dans tes quartiers, le commissaire et moi.
Le logement de Nikita se trouvait non loin de celui de Dimitri, le secrétaire du prince Paul. C’est en silence qu’il les conduisit sous les combles de l’hôtel, endroit que Nicolas avait déjà en partie visité. Il ouvrit la serrure avec une clé qu’il portait en sautoir, attachée à une chaîne. À leur grande surprise, la chambre apparut en ordre, la couchette faite et sans aucune harde ou objet sur le fauteuil, la table de bois ou la commode. Leur coup d’œil éloquent parut pour le coup troubler Nikita. Il se frappa le front d’un geste dont le naturel manquait de sincérité.
— Ah ! J’avais oublié avoir tout rangé ce matin. J’ai la tête ailleurs avec cette visite qui met tout sens dessus dessous !
— Bon, cela simplifiera l’examen, dit Bourdeau, poussant le majordome dans le couloir.
— Je puis vous aider ? Dois-je accepter cela ? Je me plaindrai au prince, mon maître. Qu’ai-je fait pour être ainsi traité ?
Nikita après la comtesse, cela suffisait pour la matinée. Nicolas fit un geste péremptoire. Une poussée plus vigoureuse expulsa Nikita dans le couloir et la porte lui fut claquée au nez. La manière dont Nikita avait tenté d’éluder et de freiner la fouille de sa chambre redoubla l’énergie qu’ils déployèrent à l’examen systématique de ses effets.
— Mettons-nous dans la tête que si quelque chose est ici dissimulé, il ne peut être que très bien caché
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