L'enquête russe
méconnaissables. La plupart enfin pensent qu’ils ne paraîtraient gens du monde à la mode s’ils ne disposaient pauvrement que de leurs cheveux. Pour moi, il n’y a jamais eu d’autres raisons que mon goût pour la beauté, la texture, l’apprêt, la couleur et le faste de ces splendeurs. Mais voici Nicolas ragaillardi ! N’êtes-vous pas de mon avis, cher ?
— Comment pourrait-il en être autrement ? Je fus parfois votre rabatteur et souvent votre fournisseur.
— C’est vrai, avec une longanimité remarquable et dont je vous suis reconnaissant.
— Lorsque je traitais des affaires de Bretagne, j’avais observé, poursuivit Le Noir, les élégantes habitudes des magistrats de Rennes. Les plus raffinés de ce parlement faisaient au moins trois toilettes par jour. Le matin, perruque à la présidente, pour cacher les papillotes aux audiences. Après dîner, le grand accommodage pour les cartes et le soir, perruque à la grecque pour les petits soupers.
— J’étais à l’époque clerc de notaire à Rennes. J’ai vu ces beaux messieurs d’ordinaire vêtus de noir arborer des habits de couleur pour manifester aux yeux du public qu’ils n’étaient plus gentilshommes,ayant, en manière de protestation et jusqu’à nouvel ordre, répudié leur qualité de magistrats.
— Nous nous égarons avec bonheur dans nos souvenirs. Nicolas, un plan de bataille ?
— Je me propose de ce pas d’aller visiter la comtesse Skzrawonski qui héberge, ou aurait hébergé, notre Kesseoren.
— Qui doit se trouver bien démunie depuis que ses sicaires ont été mis hors d’état de nuire !
— Le Noir, vous en parlez à votre aise, grinça Sartine, nous ignorons toujours où ces malfaisants se pouvaient cacher. Que font nos gens ?
— Hélas, monseigneur. Ils sont nombreux mais, outre la surveillance de la ville et des étrangers, la sûreté organisée du comte du Nord et les autres habituelles affaires, ils ne suffisent pas à la tâche. Je pressens d’ailleurs que la dame ne doit pas manquer de se travestir afin d’échapper à nos recherches.
— Soit ! Alors bonne traque, Nicolas.
Nicolas reprit une voiture pour gagner la rue d’Anjou. À l’angle du cul-de-sac de Nevers se dressait une vieille demeure à l’aspect digne et vénérable. La comtesse habitait un grand appartement au premier étage. Une vieille femme, manière de gouvernante, lui ouvrit la porte et, à pas menus, alla prévenir sa maîtresse. Elle revint le chercher et le fit entrer dans un petit salon tendu de damas bleu où se tenait debout, devant la cheminée, une grande femme entre deux âges à haute coiffure poudrée. Elle portait une robe marron. Un châle de dentelle lui couvrait les épaules. Elle braqua sur l’intrus un face à main.
— Monsieur le marquis de Ranreuil, me dit-on ? Cela ne m’évoque rien. Nous connaissons-nous ?
— Madame, je suis un ami de la baronne d’Oberkirch.
Le visage de la comtesse s’éclaira à la mention de ce nom.
— Fort bien. Quelle est la raison de votre visite ?
Il avait choisi de louvoyer entre la vérité et le mensonge.
— Il se trouve, madame, que je suis en quête, pour l’avoir croisée jadis, de la princesse de Kesseoren, dame à portrait de Sa Majesté impériale. La connaissez-vous ?
Il y eut un silence dont Nicolas devina la cause. La comtesse ne souhaitait pas répondre à cette question directe et cherchait une chose à dire qui fût plausible.
— Ce nom ne m’est pas inconnu… Cependant je n’ai jamais rencontré, personnellement, cette dame.
L’adverbe était superflu et soulignait son trouble.
— Ma femme de chambre va vous reconduire, monsieur le marquis. J’ai été ravie de vous connaître. Transmettez, je vous prie, mes sentiments à Mme d’Oberkirch.
Elle tirait déjà le cordon de la sonnette quand à son étonnement elle vit Nicolas saisir le dos d’un fauteuil, disposer le meuble face à elle et s’y asseoir.
— Monsieur, que dois-je comprendre ? dit-elle fort crêtée. Vous ai-je invité à vous asseoir ?
— Madame, je ne bougerai pas d’un pouce tant que le mensonge présidera à notre entretien. Soyez sincère et je me lève tout aussitôt.
— Me faut-il appeler le guet ?
— Ne vous en avisez pas, madame. Il vous en cuirait et je puis vous assurer que la conséquence serait toute à votre détriment.
— Au nom de qui et de quel droit vous permettez-vous de me menacer ainsi ?
— Au nom
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