L'enquête russe
du roi, madame. Je suis le marquis de Ranreuil, chargé par Sa Majesté des affaires extraordinaires. Si vous regardez par la croisée, vous apercevrez un fiacre. Un exempt de police attend mon signal pour vous venir arrêter et mener dans une maison de force.
— Monsieur, quelle que soit votre qualité, je vous rappelle que je suis étrangère, noble et sujet de Sa Majesté impériale la tsarine Catherine II. J’en appellerai à notre ministre à Paris. Vous n’avez aucun droit sur moi, aucun. Sortez, monsieur !
— Vous tirez à blanc, madame. Je mène une enquête que Son Excellence le prince Bariatinski suit avec intérêt. Dois-je vous apprendre que j’appartiens à la suite du grand-duc Paul et que les informations que je requiers de vous intéressent au premier chef la sûreté de l’héritier de l’Empire, aujourd’hui hôte du roi de France ? Cela modifie-t-il votre attitude ou faut-il que j’appelle notre homme ?
Il feignit de se lever. La comtesse se tordait les mains en serrant les pointes de son châle. Enfin elle soupira et se laissa choir dans une bergère. Il craignit un moment qu’elle ne se réfugiât dans un évanouissement, ultime argument des femmes dans une situation difficile.
— Monsieur, je proteste contre la violence qui m’est faite et dont je doute qu’elle soit autorisée par le droit de gens. Mais dans ces conditions, je dois me résoudre à céder à celle-ci car je n’ai rien à dissimuler.
— Il y va, madame, des intérêts de votre pays et de la sûreté du prince Paul. Je me félicite que laraison et le bon sens gouvernent enfin votre conscience. Je repose ma question : connaissez-vous la princesse de Kesseoren ?
Elle prit une forte inspiration avant de parler.
— Monsieur, puisqu’il faut le dire, je la connais, enfin depuis peu et à la requête expresse des autorités de mon pays.
— Bon, voilà un début. Quelle était cette demande ?
— Monsieur, vous me mettez à la torture. Ce sont là matières dont j’ignore si je suis autorisée à les dévoiler.
— Madame, faudra-t-il que je vous mène à votre ambassadeur ? Il ne faut rien dire ou tout dire.
— Soit… J’ai reçu il y a quelque temps un message de la cour impériale, d’un proche conseiller de Sa Majesté, me priant, m’enjoignant, d’accueillir et d’aider une certaine princesse de Kesseoren sans m’ingérer d’aucune façon dans ses activités et de ne m’étonner de rien. Tels étaient, selon mon correspondant, les recommandations et ordres de Sa Majesté impériale.
— Et donc vous avez accueilli cette dame ? À quelle époque ?
— Il y a plusieurs semaines. Mais elle a disparu plusieurs jours. Elle est réapparue depuis prendre son bagage.
— Avez-vous eu des conversations avec elle ?
— Elles se résumaient à peu. Son mutisme était égal à ma discrétion. Il ne fut question que de détails matériels. Monsieur, je m’étonne que vous paraissiez suspecter de je ne sais quelles menées une dame, une princesse, recommandée à moi par la cour impériale.
— Votre remarque coule de source. L’enquête que je mène vise précisément à éclairer le trouble quesuscite cette contradiction. Mais je dois vous dire que la princesse, si tant est qu’elle le soit, est impliquée dans une affaire criminelle où l’on décompte déjà beaucoup de victimes. De plus votre dame était acoquinée avec deux bandits que la police de Sa Majesté a été contrainte de mettre hors d’état de nuire.
— Qu’y puis-je, monsieur ? En suis-je responsable ?
— Madame, je ne suis pas en mesure de mettre en cause votre bonne foi. Cependant, prenez garde que vous pouvez être impliquée dans des affaires de meurtre comme complice et, chose aggravée, dans un complot d’État. Nous sommes en guerre et tout étrangère que vous soyez, rappelez-vous qu’il n’en sera tenu aucun compte si le doute s’installe sur votre innocence. Je vous salue, madame.
Elle se leva, raide, et, le visage fermé en femme outragée, sonna. La duègne apparut aussitôt. Sans doute, se dit Nicolas, écoutait-elle leur dialogue, l’oreille collée à la porte. Il salua la comtesse. Elle ne répondit pas. Sur le seuil de la pièce, il s’arrêta et se retourna.
— Une dernière chose, madame. Ne vous avisez pas de prévenir cette prétendue princesse de Kesseoren de ma démarche. Je vous informe en loyauté que vous êtes dès ce moment surveillée et que le moindre de
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