L'enquête russe
dans la sinistre ronde des suspects.
Il se frottait les mains d’excitation.
— Qu’allons-nous faire ?
— Rien.
— Comment rien ?
— Réfléchis. Si nous intervenons maintenant, nous découvrons nos batteries. En un instant tout va s’agiter, se disperser, se fondre dans les ténèbres et nous perdrons tous les avantages acquis de cette longue et pénible enquête. Je le répète, as-tu du papier de taille utile ?
Bourdeau fouilla une poche de son pourpoint et en sortit un petit carré de papier plié en huit. Il le tendit à Nicolas qui le déploya.
— Il fera l’affaire. Voilà un crayon. Tu vas me copier très exactement le dessin de ce napperon. Fais attention aux jours qui doivent être reproduits très exactement.
— Et que feras-tu de ces copies ? Tu ne veux pas donner l’éveil, tu ne peux t’emparer du livre et sans lui aucun message traversé ne peut être déchiffré.
— Tu me tires les mots de la bouche. Nous disposerons d’une arme secrète. L’ouvrage ne va pas disparaître. Replaçons tout en l’état. Rassurons Nikita et le moment venu l’ouvrage en question sera notre plus puissant argument. La prudence s’impose au dernier degré, nous sommes dans une ambassade étrangère. Rien ne peut être dévoilé avant que nous détenions l’ensemble des lumières sur cette affaire, sur ces affaires.
Après avoir tout replacé à l’identique, ils sortirent de la pièce et trouvèrent Nikita qui les attendait, le visage fermé.
— Monsieur, dit Nicolas amène, nous sommes satisfaits et, comme je le pressentais, nous n’avons rien découvert de suspect dans votre logement. Je ne pouvais éviter cet examen, vous le comprenez. Vous vous devez de donner l’exemple. J’ai confiance en vous et j’espère que vous consentirez à m’apporter votre appui comme vous l’avez fait jusqu’à présent.
L’homme s’apaisait à ces paroles enveloppantes. Nicolas appela Bourdeau qui traînait dans la chambre.
— Je suis votre serviteur, monsieur le marquis. Je suis désolé que ma pauvre mémoire ait pu vous laisser supposer que je dissimulais quelque chose.
Dans le vestibule de l’Hôtel de Lévi, le calme régnait. Ils sortirent dans la rue inondée de soleil de cette fin d’après-midi. Nicolas expliqua à Bourdeau ce qu’il attendait de lui. Se rendre à Versailles et voir avec les services de Vergennes si des messages indéchiffrables à destination de Nikita Paline, majordome à l’ambassade de Russie, avaient été interceptés. Ceux-ci devaient porter des chiffres compris entre 0 et 657. Sur ce, ils se séparèrent et Nicolas, sifflant un air de Balbastre, alla flâner sur le boulevard. Le choix du morceau avait un goût de revanche et marquait que les affaires reprenaient.
XII
CHANTILLY
« En l’honneur de l’hôte étranger, on voulut représenter Hamlet , mais l’acteur qui devait en tenir le rôle déclara qu’il jugeait déplacé de le jouer en présence du Hamlet russe. »
Mozart
Du lundi 10 juin au mercredi 12 juin 1782
Les bureaux de Versailles ne furent pas longs à retrouver traces d’étranges messages chiffrés émanant de Russie et traversés par le cabinet noir. Ils avaient désespéré les commis les plus chevronnés appelés à s’échiner sur ces énigmes. Copies avaient cependant été conservées de ces textes benoîtement adressés par la poste au nom de Nikita Paline, Hôtel de Lévi à Paris. Malgré l’impatience de M. de Vergennes, Nicolas fit comprendre que le temps n’était pas venu de procéder, dans des conditions à définir, à la soustraction du livre matrice. Il y avait certesun risque de voir l’objet disparaître entre-temps, mais le commissaire entendait laisser mûrir l’affaire et agir au moment propice. De plus, il ne sous-estimait pas les difficultés de l’opération à l’intérieur d’une ambassade étrangère.
Le 10, Nicolas prit place dans l’une des voitures qui menaient le couple grand-ducal et sa nombreuse suite à Chantilly pour une visite de deux jours chez le prince de Condé. Depuis le bois de Champlâtreux, l’attelage à huit chevaux du couple impérial fut escorté par des gardes à cheval. Le prince, Mlle de Condé, le duc de Bourbon son frère, sa femme et le petit duc d’Enghien accueillirent leurs hôtes à leur descente de carrosse. Il y eut d’abord salon et présentations. Le duc fit compliment à Nicolas des prouesses écuyères de Louis qu’il avait eu
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