Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'enquête russe

L'enquête russe

Titel: L'enquête russe Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
Vom Netzwerk:
succès. Cette réflexion le conduisit au sommeil.

    Mardi 18 juin 1782
    Ce fut le père Marie qui le réveilla et le fit sortir, une tasse de café au lait avec des oublies aidant, de sa torpeur.
    — Il y a là un M. Radot qui t’attend.
    — Fais-le entrer.
    Le traducteur de russe entra l’air éberlué, la perruque de travers et l’habit mal boutonné.
    — Monsieur Radot, comment puis-je assez vous remercier de répondre ainsi à mon appel ?
    — Serviteur, monsieur le marquis. Hélas ! Hélas ! Je n’ai point eu le choix et n’ai point autant de mérite que vous le dites. J’ai un peu rechigné…
    — Diable, je suis navré au dernier degré d’avoir gâché votre nuit. Mais il y va d’une affaire d’État.
    — Alors ?
    — J’ai à vous soumettre un papier saisi dont je souhaiterais connaître la teneur.
    — Hélas ! Hélas ! Je n’ai point mes besicles.
    — Peu importe…
    Nicolas fourragea dans le tiroir de bureau et en tira une lentille grossissante.
    — … Nul doute que cela pourra en faire usage et vous aidera.
    M. Radot se pencha sur le document trouvé à Meudon. Il le lut et se mit à balancer la tête comme un magot chinois.
    — C’est un document signé par… Mais il vaut mieux que je vous le lise.
    C’est par mon ordre et pour le bien de l’Empire que le porteur du présent a fait ce qu’il a fait.
    Ce 24 avril 1782,
Catherine
    — Voilà ce qui est bel et bon, mais ne fait point mon affaire. Cela confirme tout au plus ce que je savais déjà.
    — J’en suis désolé, dit M. Radot du ton aigre, d’évidence ulcéré du peu de considération que sa traduction suscitait. La Russie est à la mode. Je n’arrête pas depuis quelques jours, du français au russe et du russe au français. Imaginez que même M. de Sartine, l’ancien ministre de la Marine, m’est venu trouver il y a trois jours pour me faire mettre en russe un salmigondis dans lequel je n’ai rien démêlé.
    — M. de Sartine ! Du français au russe. Voilà qui ne laisse pas d’intriguer. Et de quoi s’agissait-il ? D’une affaire de commerce ?
    — Point, point ! Je n’y ai rien entendu. On y parle du bal de la reine, d’une voiture, et d’un homme enhabit gris de cour avec un cordon noir. La route à prendre et une clairière où il fallait en finir. Je n’y comprenais goutte, mais n’était-ce pas préférable ? L’ignorance est une qualité dans notre métier.
    — Je vous remercie, monsieur Radot. On va vous reconduire à Versailles.
    Et le traducteur, qui était en veine de causerie, fut poussé dehors par un commissaire impatient de se retrouver seul.
    — Tiens donc ! Monseigneur de Sartine. Comme cela se trouve. La surface des choses, hein ! La surface des choses.

XIV
    DÉCHIREMENTS
    « Serments fallacieux, salutaire contrainte
    Que m’imposa la force et qu’accepta ma crainte,
    Heureux déguisements d’un immortel courroux,
    Vains fantômes d’État, évanouissez-vous ! »
    Corneille
    Nicolas était moulu et, seule, une bonne toilette lui parut susceptible de le dégourdir. Il fit monter de l’eau pour se laver dans le cabinet qui jouxtait le bureau de permanence et dans lequel, à l’occasion, il se grimait. Ces soins émerveillèrent l’huissier, qui avança sans vergogne ne s’y résoudre qu’aux quatre vigiles. Nicolas avait toujours observé que les habits du père Marie étaient soigneusement brossés, mais qu’il émanait d’eux en permanence une forte odeur composite de vieux bois, de graillon et de fumée.
    Il fit appeler une voiture et se fit conduire rueVieille-du-Temple chez maître Vachon, son tailleur. La mention de son habit gris dans le billet traduit en russe par M. Radot l’intriguait. Qui pouvait savoir, hors évidemment son tailleur et Louis, la couleur de l’habit de cour destiné à être porté au bal de la reine ? Il aborda le vieil artisan avec circonspection, affirmant avoir souhaité le remercier pour les deux habits qui avaient suscité l’admiration de tous. Maître Vachon, confondu de reconnaissance, lui avoua avoir montré l’habit à plusieurs personnes et, notamment, à M. de Sartine, sa vieille pratique, venu le saluer alors qu’il passait près de sa boutique. Nicolas prit congé et sortit, l’esprit bourdonnant de ce qu’il venait d’apprendre. Il était exclu que l’ancien ministre prît la peine sans arrière-pensées de venir saluer maître Vachon. Seule la vanité du vieil homme pouvait

Weitere Kostenlose Bücher