L'enquête russe
l’inquiétude et, pour finir, la panique. Il se dégagea de l’étreinte de Nicolas.
— Monsieur le marquis, je ne comprends rien à votre discours. Permettez-moi de quitter ce salon, les préparatifs de départ de Leurs Altesses impériales me requièrent.
Nicolas lui barra le passage et le repoussa jusqu’à un fauteuil où Nikita tomba, abasourdi du mouvement de son interlocuteur.
— Monsieur, un peu de sérieux que diantre ! J’entends bien que, perplexe, vous puissiez soupçonner quelque torve tentative. Dois-je vous prouver que je suis l’un des vôtres et que notre grand empire étend sa toile sur l’ancien monde ?
Il fouilla dans sa poche et lui mit sous les yeux l’ordre de mission signé par Catherine II. Nikita s’en saisit, le regarda, le lut plusieurs fois, l’examina sous tous les angles et, vaincu, considéra Nicolas avec stupéfaction.
— Mais… monsieur, vous êtes Français.
Nicolas trouva la réplique en songeant à ce que lui avait avoué la princesse de Kesseoren.
— Monsieur, sachez que mon père était français, mais ma mère russe. Enfin, si vous en doutez encore, je vous laisse libre par vos moyens habituels d’obtenir confirmation de Saint-Pétersbourg. Bien sûr à vos risques et périls. Il est vraisemblable qu’ on appréciera votre défiance.
— Point, point, la surprise seule explique… Enfin, je suis à vos ordres. Que dois-je faire ?
— M’accompagner près d’ici. Je voudrais vous présenter des objets qui vous ont été volés et qui laissent indécis ceux qui les ont examinés. On a fini par conclure qu’ils étaient exempts de tout mystère. Pour ma part, je ne possède pas et pour cause leurcandeur et souhaiterais qu’au plus vite vous les récupériez. Il y a là un livre précieux et…
— Plus un mot, c’est cela. Je vous suis. Sortez, monsieur le marquis, et je vous retrouve dans la rue.
Nicolas se retira sans autre rencontre et vit bientôt Nikita le rejoindre. Ils marchèrent un long moment sans parler. Quand ils approchèrent de l’hôtel de police, Nikita manifesta, en dépit de sa maîtrise, quelques signes d’inquiétude. Nicolas pouvait imaginer que, parisien depuis longtemps, l’homme ne devait pas ignorer la nature de l’endroit.
— Nous allons pénétrer dans l’hôtel de police. Ne vous inquiétez pas. Où donc seriez-vous davantage en sécurité ?
Il ajouta en riant :
— Rien n’est plus sûr que la gueule du loup !
Ils entrèrent dans la cour et tout se déroula en un éclair. À peine abordés les degrés du perron qu’une foule d’exempts jaillit du vestibule et se précipita sur Nikita, qui fut aussitôt immobilisé, lié aux mains et aux pieds, et entraîné dans une pièce du sous-sol pour y être enfermé.
Que Nicolas fût fier de cet exploit peu glorieux était loin de la vérité. Il éprouvait à l’issue de cette manœuvre réussie l’amère sensation d’un remords. Et puis le mouvement des événements l’emporta. Oui, il avait en fourberie trompé cet homme, mais quel était-il ? Un espion tapi au sein de la capitale du royaume, sans doute l’un des éléments importants de la toile étendue sur l’Europe par la Sémiramis du Nord. Il espionnait et, au bout du compte, avait peut-être massacré quatre personnes. Nicolas devait se concentrer sur quelques points demeurés obscurs. Dangeville avait-il été tué par Pavel ou parNikita ? Ou alors… Pourquoi un espion patenté avait-il tué un autre représentant du renseignement russe, au dire même du grand-duc qui soupçonnait clairement Pavel de le surveiller ?
Une longue marche s’imposait. Après avoir pris avec Le Noir les dispositions matérielles de la comparution de Nikita Paline, il gagna les boulevards, y prit un fiacre et se fit conduire à l’ouest de Paris où s’étendait un bois touffu appelé Boulogne. On avait commencé à y tracer des allées de plus en plus courues ; il s’en écarta et s’assit dans un lieu solitaire sur un talus herbeux, écoutant gazouiller les oiseaux tandis qu’au bout du chemin, des biches et des cerfs s’enfuyaient.
Un détail le tourmentait. Qu’un homme du secret russe, d’évidence aussi expérimenté, ait cédé aussi vite au subterfuge utilisé l’inquiétait. Pourtant il avait noté que sa résistance s’était dissipée devant sa certitude de tenir en main un ordre authentique de sa souveraine. Bourdeau en aurait tiré d’édifiantes considérations sur la
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