L'enquête russe
selon Semacgus, c’est un poison redoutable. Reste qu’il s’agit là de vestiges de poudre colorée et parfumée dont la nature me laisse croire qu’il s’agit d’un cosmétique féminin. Dans l’énergie prise à arracher les pages, un nuage s’est formé et s’est déposé sur lareliure. Si tu regardes mieux, tu en trouveras des traces sur le portemanteau.
Bourdeau retourna dans la garde-robe et en revint en secouant la tête.
— Tu as raison !
— D’ailleurs je n’ai trouvé nulle trace de ce type de parfumerie dans les affaires du comte. Il est donc d’une provenance extérieure. Reste à savoir laquelle. Le rose est la couleur des courtisanes ; pour les femmes de condition, c’est le rouge qui prévaut. Il faudra consulter un gantier parfumeur. Et aussi tenter de déterminer si ces pages arrachées, dont nous n’avons nul vestige, l’ont été cette nuit ou à un autre moment.
Nicolas s’approcha du cadavre. Il fit un signe de croix et, à ce que supposa Bourdeau, une brève oraison, avant de fermer les yeux de M. de Rovski. Il passa un doigt sur la joue et le considéra.
— Point de poudre de visage. Cela confirme la chose.
— Il a pu se laver.
— Je crois que nous avons fait le tour de ce qui était possible de relever ici. Nous allons maintenant approfondir notre enquête. J’ai comme l’impression que notre valet-mouche a plus à nous dire qu’il a bien voulu le faire jusqu’ici.
— M’est avis que le drôle a matachié 15 son discours d’oublis et de mensonges. Il a bel et bien cherché à nous empaumer !
— Nous pouvons déjà nous flatter d’avoir réuni quelques éléments d’assurance. Primo , il y a meurtre, secundo le modus operandi est particulièrement atroce. De l’examen superficiel du cadavre, il ressort que la mort est intervenue dans la soirée plutôt que dans la nuit ; l’ouverture nous en diradavantage. Tertio , il y a des traces à peine discernables, mais qui pourraient laisser supposer que plusieurs personnes sont venues dans cette chambre. Deux indices confortent cette hypothèse, la découverte d’un jeton ou d’une pièce de monnaie sans conteste appartenant à un Insurgent. Objet détaché d’une chaîne rompue ? Certainement, mais dans quelles circonstances ? Enfin, traces de poudre de visage, appartenant d’évidence à une visiteuse.
Nicolas se frappa la tête.
— Et j’allais oublier le carnet aux pages arrachées. Nous ne pouvons d’ailleurs pas exclure que d’autres pièces manuscrites aient pu disparaître. À nous deux, monsieur Veyrat ! Et vous aussi, tenancier de cet hôtel si évasif sur ce qui se passe dans votre établissement ! Il nous faut prendre en compte qu’il s’agit d’un étranger et d’un Russe. Le comte et la comtesse du Nord approchent. La coïncidence est fâcheuse. Et je suis en mesure de t’assurer que nous risquons d’avoir bientôt sur le dos le ministre de Russie. Cela nous impose rapidité dans l’action et secret le plus absolu. Enfin, le plus longtemps possible.
— Tu veux dire qu’ils voudront nous mettre des bâtons dans les roues ?
— En tous les cas, saisissons-nous des indices utiles, car le droit d’aubaine du roi sur la succession va s’exercer rapidement. Des scellés seront mis. Les officiers des bureaux des Finances vont s’abattre comme un vol de corbeaux, en s’immisçant dans l’affaire pour la consommer en frais et en tirer le maximum pour le Trésor. Donc, enlevons le corps, faisons-le porter à la basse-geôle et mettons nous-mêmes les scellés avant que d’autres y viennent patauger. Et maintenant, sus aux témoins ! Faux ou véridiques…
Nicolas consacra quelques instants à noter dans son petit carnet noir ses observations. Bourdeau remarqua qu’il multipliait les points d’interrogation. Le charroi du Grand Châtelet était arrivé et un sergent du guet vint les avertir que tout était prêt pour enlever le corps. Il fallut d’abord trouver de la paille pour étancher le sol. Le corps, enveloppé dans une pièce de toile, fut porté dans une charrette. Les scellés furent posés. Les objets personnels saisis furent confiés au sergent, à charge pour lui de les acheminer jusqu’au bureau de permanence.
La Jeunesse se présenta et demanda à se retirer. Il lui fut répondu d’avoir à patienter, on avait encore besoin de lui pour préciser certaines de ses déclarations. Il en parut troublé et Nicolas observa ses lèvres mordues qui,
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