L'enquête russe
dans un mouvement instinctif, dévoilaient des dents gâtées et décelaient une évidente inquiétude.
M. Lachère les attendait en bas de l’escalier, plein d’effroi devant l’agitation qui bouleversait son établissement. Il se précipita sur eux.
— Messieurs, messieurs, voyez le remue-ménage, considérez la fange que tout cela entraîne. Un endroit si réputé ! Je ne m’en remettrai pas.
Le petit homme sautait lourdement d’un pied sur l’autre en se tordant les mains.
— Allons, dit Nicolas d’un ton lénifiant, tout s’achève et le calme revient…
— Mais, mais, ma plus belle chambre ! La porte, les dégâts… La pension non payée.
— Il suffit, dit Bourdeau. Veuillez sans barguigner répondre aux questions que le commissaire va vous poser. Vos inquiétudes trouveront leur solution.
— Monsieur Lachère, êtes-vous assuré que la victime est sortie hier soir ?
— À dire vrai, je n’en sais rien.
— Vous n’étiez point présent ?
— Non. J’avais conduit Mme Lachère à la Comédie italienne voir une pantomime des plus plaisantes. Imaginez que…
— Point, nous n’imaginons rien. Qui, hier soir, est en mesure de nous renseigner sur le mouvement des entrées et des sorties de votre hôtel ?
Nicolas eut l’impression qu’une gêne s’installait chez son interlocuteur.
— Il faut vous dire qu’hier soir les choses étaient un peu différentes et peu conformes aux errements de la maison…
— Ce qui signifie ?
— Que l’hôtel n’est pas vraiment plein. Il est même vide. Les autorités nous ont demandé de conserver des chambres libres en vue de l’arrivée des Russes… Vous savez, le comte du Nord.
— Mais vous avez accueilli M. de Rovski ?
— Justement, parce qu’il était russe. Je n’ai pas cru devoir…
— Bon, cela est une chose, mais pour hier soir ?
— M. de Rovski disposait de deux clés, celle de sa chambre et un passe de la porte de l’hôtel que je lui avais confié. Et de plus il avait son valet.
— Il prétend que son maître lui avait donné sa soirée.
— Et comment était cette clé qui ouvre sur la rue ?
— Ornée d’une passementerie rouge et or. Moi seul connais la signification des soieries de couleur utilisées. Ainsi, de cette manière, si la clé s’égare nul n’est censé découvrir son origine.
— J’entends bien. Le problème, c’est que nousn’avons nulle part trouvé trace de cette clé. L’auriez-vous reprise par hasard lors de la découverte du corps, ce matin ?
— En aucune façon. La porte était close au verrou comme je vous l’ai dit. L’autre clé était absente et, par malheur, mon propre passe enfin, celui qui ouvre l’entrée de la rue, égaré. Oh, ma pauvre tête !
— Il faut donc en conclure que l’assassin, puisque meurtre avéré il y eut, ferma la porte et emporta avec lui les clés, c’est-à-dire celle de la chambre et celle de l’hôtel. Qu’en dites-vous ?
M. Lachère demeurait coi.
— Encore une chose. Êtes-vous assuré que le valet de votre client ait quitté l’hôtel hier soir ?
— Je n’ai aucun moyen de le savoir.
— Mais la porte de l’établissement était close…
— De l’extérieur, messieurs, de l’extérieur. On peut sortir, mais une fois repoussée la porte, on ne peut entrer.
— Je vois. Quelle curieuse situation que cette maison vide, aux chambres non occupées, à l’hôte absent, à l’accès interdit, aux clés disparues !
— Certes, certes ! D’habitude mon commis assure la permanence de nuit pour répondre à telle ou telle situation ou demande.
— Nous y voilà ! D’habitude ! L’habitude est pourvoyeuse de la camarde, parfois ! Quelle succession étrange d’événements ! Et comment se nomme-t-il, ce commis absent ? Et pour quelle raison absent ?
— Richard Harmand. Oh ! Un brave jeune homme qui loge chez son père rue de la Verrerie, au coin de celle Bar-du-Bec.
Il prit un ton dévotieux.
— Ce père est perruquier de monseigneur le duc d’Orléans. Il se nomme Pacôme et on fêtait hier soirson saint patron, faute de ne point l’avoir célébré le 14, en raison d’un accès de goutte.
— Et par conséquent ?
— Je lui avais accordé sa soirée. Mesurez que, hors M. de Rovski, mon établissement est presque fermé. Et Mme Lachère tenait tant à son spectacle que je n’ai pas cru modifier nos plans. Si j’avais su !
— Ce commis possédait
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