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L'enquête russe

L'enquête russe

Titel: L'enquête russe Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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daignât les servir, un homme enfin dont le roi avait dit « ce bon monsieur Vachon » ou, du moins le croyait-il, sur la parole du commissaire. Son accueil fut à la hauteur de la reconnaissance, quasi dévote, qu’il vouait à Nicolas. Il se dressa avec difficulté de la haute cathèdre depuis laquelle il dominait l’activité de sa boutique. Les apprentis et garçons qui avaient levé la tête, et par conséquent l’aiguille, se replongèrent bientôt sur leur tâche dès qu’un regard sévère du maître les eut subjugués.
    — Ah ! Monsieur le marquis, monsieur le vicomte. Pardonnez-moi si je ne me lève point. Mes pauvres jambes ne me portent plus… Enfin de plus en plus difficilement.
    — Comment vont les affaires, maître Vachon ?
    — Bien et mal ! Bien et mal, monsieur le marquis.
    — Comment cela ?
    — Ces jours-ci, c’est le coup de feu ; nous taillons, coupons, cousons ad patres  ! Il y a tant de réceptions et de fêtes avec ces Russes à Paris que nous ne savons plus où donner de la tête ! Que serait-ce sans l’ incognito  ? Et, le croiriez-vous, un de mes confrères, Fagot, est sur le point de faire fortune avec un vêtement d’enfant dont l’impératrice a offert le modèle, taillé par elle-même pour son petit-fils Alexandre ! On ne peut faire un pasdans la rue sans lire au front d’une boutique : À l’empire russe , À la dame russe , À Catherine la grande et j’en passe.
    — Et votre boutique de modes, rue Royale ?
    — Peuh ! Peuh ! C’est madame Déficit. Je devrais bien la rebaptiser… À l’ours russe , par exemple !
    — Que me dites-vous là ? Nos dames ne se vêtiraient plus, elles abandonneraient la parure ?
    — Pour cela non ! Mais il y a mouvement et du dernier restrictif pour nous, maîtres des splendeurs. C’est elle la coupable. J’ai peine à le dire…
    Il baissa la voix et jeta un regard fulgurant sur les garçons. Un mouvement général s’ensuivit, les visages s’enfoncèrent sur les tissus travaillés.
    — … Oui, la reine… Depuis ces grossesses et la naissance du dauphin, Dieu bénisse cet enfançon et le roi avec lui ! «  Ce bon monsieur Vachon  », quand j’y songe… Que disais-je ?
    — La reine.
    — Ah, oui ! Naguère, on vendait en France pour plus de cent millions d’étoffes dont les formes et le goût changeaient cinq ou six fois par an. On dit que l’empereur d’Autriche, jaloux de notre industrie, aurait incité sa sœur à tout faire pour détruire le commerce de Lyon et, ensuite, le nôtre par conséquence obligée. De plus en plus, la reine emprunte aux femmes de chambre l’usage de s’habiller en blanc. Hé, le tout au bénéfice des négociants de Bruxelles, maîtres de ces tissus-là ! On dit que nos fabricants ont fait intervenir Mesdames les filles du feu roi. Elles auraient présenté un mémoire au roi. La reine a pris leurs reproches polis comme une offense, avec la hauteur d’une souveraine dont le cœur est étranger aux Français. Tout ce qui est beau, grand et noble n’est désormais conservé quepour les fêtes rares et les jours d’appareil. Bref, on ne distingue plus une duchesse d’une comédienne. Adieu l’ancienne somptuosité. Adieu les formes imposantes des ajustements de la parure ! Adieu la grandeur ! Adieu, adieu, adieu !
    — Mon bon monsieur Vachon, vous exagérez la chose, nous sommes en guerre et le déficit s’accroît. Chacun, et la cour la première, se doit de donner l’exemple et de diminuer ses dépenses. Le bon temps reviendra, soyez-en sûr !
    — On ne revient jamais en arrière. Il serait temps que je me retire.
    Nicolas fut surpris des propos du tailleur. Qu’un homme aussi imbu de traditions, dont la fidélité pour le trône et le roi était indiscutable, pût en venir à attaquer si vivement la reine le blessait au fond de lui. Pourtant il n’était qu’à moitié surpris de ce discours. Douze ans après son arrivée en France et en dépit de ses maternités, Marie-Antoinette ne parvenait pas à remonter la pente de son impopularité. La trame de cette malédiction était trop souvent tissée dans ses entours. Mesdames, Orléans, Provence et d’autres encore pourvoyaient aux ignominies des pamphlets répandus. Elle avait trop longtemps, disait à Nicolas une voix intérieure, donné au peuple le spectacle de son plaisir pour le convaincre désormais de la véracité d’un apparent sérieux. Frivole, volage, imprudente et surtout

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