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L'enquête russe

L'enquête russe

Titel: L'enquête russe Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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tombèrent sur le sol. Une seule demeurait sur la table. L’air inspiré, la Paulet s’en empara, la regarda, puis, fixant Nicolas, la plaqua dans le mitan de son corsage.
    — Hé, quoi ?
    — Je me fais du souci pour toi, mon Nicolas.
    — Vous voici bien attendrie, soudain.
    — Méfie-toi d’une ombre puissante. Elle est à l’origine de tout cela.
    — Tout quoi ?
    — Tu sais très bien ce que je veux dire. Allez, mes agneaux, la consultation est terminée. J’attends des duchesses. Et comme tu les connais toutes, il te faut échapper pour ne les point troubler.
     
    Au sortir du Dauphin couronné et alors que plusieurs carrosses blasonnés approchaient, les deux policiers s’avisèrent de l’heure déjà avancée et décidèrent de rejoindre le tripot de la mère Morel pour faire le point de ce qu’ils venaient d’apprendre tout en dînant 36 . Aux Boucheries Saint-Germain, leur vieille hôtesse les accueillit, désormais appuyée sur deux cannes. Elle n’en dirigeait pas moins sa maison avec son autorité habituelle, toute voûtée et cabossée qu’elle était.
    — Alors, mère Morel, de quelles gâteries nous pouvez-vous régaler aujourd’hui ?
    — Hé, hé ! Des mignardises que vous goûtez, je le crois. Pour débuter, que diriez-vous d’une flopée de petits hâtelets 37 de rognons de conins 38 . De la tendresse et la fleur de thym fraîche par-dessus.
    Elle baissa la voix.
    — Cela nourrira le pot d’eau… bourguignonne que je vous servirai pour vous rafraîchir par ce beau temps chaud.
    — Bien, et ensuite, après ces peccadilles ?
    — Après ? Le grand choix au gré du marché, comme d’usage. Pieds de veau et tétine de vache à l’encerisée.
    — L’encerisée ? Les fruits sont encore rares, le printemps a été tardif et les gelées ravageuses.
    — C’est point le fruit, c’est la manière.
    — Les as-tu bien traités ces deux abats ?
    — Mes enfants, vous me connaissez, à l’accoutumée. Pieds et tétines longuement mitonnés dans un bouillon triple, enrichi de racines et d’os à moelle. Ensuite je découpe la tétine en tranches et les pieds désossés en morceaux. Il faut prendre garde à ne point trop ramollir la viande, car ensuite je la mets à tremper dans un mélange de vinaigre, sel, poivre, un paquet d’herbes, du limon, du laurier. Je prépare une pâte à beignet. Chaque morceau y est plongé, puis frit au lard fondu. Voilà, vous goûterez cela, j’en suis assurée. J’oubliais, au moment de servir, persillade et tranches de limon. J’ajouterai un plat de radis nouveaux avec un quarteron de beurre de Vanvres, le meilleur.
    — Tout cela m’appète furieusement, dit Bourdeau l’œil émerillonné de gourmandise. Tu nous donnes des deux, pieds et tétine.
    — Ce préalable capital réglé, dit Nicolas, résumons-nous. Comme d’habitude, la conversation avec notre Paulet s’est révélée fructueuse.
    — Ou le hasard nous multiplie ses nasardes, ou nous sommes en présence d’une série de coïncidences si étranges et si détournées 39 que nous sommes à brandiller pour en tirer les leçons.
    — Piquadieu nous a lancés sur la Paulet qui n’a pas nié avoir fourni le nécessaire au comte de Rovski. Point assuré. La dame nous a éclairés sur la Berlotte, autre mère de la place. Or il appert que cette maquerelle emploie la Gambut, fille dont la réclame a été trouvée chez notre victime russe. Or la maison de cette même Berlotte était fréquentée, au dire d’un de ses amis, par Richard Harmand, autre victime. Il y a là une chaîne de liaisons en ricochet qui laisse à penser…
    — À penser certes, mais à comprendre, c’est autre chose !
    — Notre priorité serait de définir avec exactitude la nature des liens qui ont pu se nouer entre le Russe, Richard Harmand, la Berlotte, la Gambut, la dame au portrait, l’Américain et, accessoirement, Piquadieu.
    Le garçon apporta ensemble les deux plats commandés. Bourdeau se jeta, vorace, sur les hâtelets avant de considérer avec convoitise le plat principal. Les abats fumants reposaient dans leur croûte dorée au creux d’un torchon plié en quatre sur un plat de faïence blanche.
    — J’y songe, dit Bourdeau. Nous considérons Richard Harmand comme une victime. Imaginons qu’il soit l’assassin du comte de Rovski pour, par exemple, une rivalité amoureuse…
    — Pour les beaux yeux d’une Gambut ?
    Nicolas regretta aussitôt ses paroles en

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