L'envol des tourterelles

profondément et pencha coquettement la tête avant d’annoncer qu’elle et Florence avaient été invitées depuis longtemps à cette réception où elle se rendait justement. Denis les fit passer devant etÉlisabeth sentit qu’il lui caressait discrètement le dos alors qu’il guidait sa femme du plat de la main, sans plus. Elle frissonna de plaisir. C’était la première fois de sa vie que le danger l’amusait, car les minutes qui s’annonçaient n’étaient rien d’autre que des petites bombes à retardement qui menaçaient d’exploser. Tout en marchant, un sourire vissé aux lèvres, elle repensa à Florence et voulut plus que jamais lui demander pardon pour son emportement.
    La réception ressemblait à toutes les réceptions, ennuyante comme un orchestre émettant des sons cacophoniques avant de se mettre au diapason. Seuls quelques tintements de verre émergeaient occasionnellement du soporifique murmure. Même si elle conversait avec Denis et son épouse, Élisabeth se sentait engourdie de la tête aux pieds, savait ses mains glacées et se demandait si c’était le tissu de sa robe qui réussissait à assourdir ses inquiétantes extrasystoles qu’elle entendait aussi clairement que des cymbales. Elle perçut un changement de tonalité dans les murmures de la salle et comprit que Florence venait de faire son apparition. Elle la chercha des yeux et l’aperçut enfin, pénétrant discrètement dans la pièce, toujours chaussée de ses ballerines roses. Elle avait aussi mis un chapeau de feutrine qu’Élisabeth aurait juré sorti tout droit du coffre de sa grand-mère. Florence l’aperçut enfin et se dirigea vers elle, fière de sa performance. Élisabeth l’embrassa et Denis fit de même avant de lui présenter sa femme. Florence toisa littéralement cette dernière, au point de la gêner.
    – Je suis sûre que vous n’êtes pas infirmière.
    – Je l’ai été. Pourquoi?
    – Parce qu’à mon avis, avec des yeux comme les vôtres, il n’y a pas un seul médecin qui peut faire des opérations sans couper à côté. J’espère que vous n’étiez pas dans la salle d’opération.
    – Justement, j’y étais.
    Florence éclata d’un rire si cristallin, si amusé, que le silence envahit la salle quelques instants, le temps que les gens identifient la source de cette diversion. Denis rouspéta un peu alors qu’Élisabeth sentit qu’elle commençait à se calmer. Florence fit la conversation avec M me Boisvert, qui semblait enchevêtrée dans un leitmotiv. Selon elle, il était plus que temps que la ville de Montréal ait une salle de spectacle «de classe internationale».
    – Nous ne pouvons quand même pas inviter les grands de ce monde à un spectacle au
Gesù
ou à
L’Égrégore
. Nous aurions perdu la face à l’Exposition universelle, c’est certain.
    Elle parla aussi de la soirée, félicitant Florence pour sa performance. Florence la remercia avec un air de fausse modestie qui n’échappa pas à Élisabeth. Florence, elle le savait, était sincèrement humble devant son talent. Cette coquetterie signifiait qu’elle s’amusait et elle en était consciente. Seul Denis semblait mal à l’aise.
    – Votre petite robe, avec son imprimé délicat, ses plis cousus au buste et ses boutonnières en ganses, est très fraîche, très jolie. J’étais fière de vous, pendant votre solo.
    – Pour quelle raison?
    – Bien, voyons...! Parce que vous faites une très jolie petite Canadienne! Un peu comme celle de GeorgesGuétary. Vous connaissez? «Quand j’t’ai vue passer/Tout endimanchée/Ma p’tite Canadienne...»
    – Non. Mais j’ai entendu parler de Georges Brassens. Vous connaissez? «Un’ jolie fleur dans une peau d’vache...» Ou bien l’autre, vous savez... «Quand Margot dégrafait son corsage/Pour donner la gougoutte à son chat...» Mais avec une robe comme la mienne, ça n’aurait pas été possible, parce qu’elle boutonne dans le dos...
    Florence laissa échapper encore une fois son rire cristallin, amusée par ce qu’elle venait de dire, son plaisir doublé par le scepticisme qui venait de changer la palette de couleurs du maquillage de M me Boisvert.
    – Je pense, Florence, que M me Boisvert ne connaît pas Margot.
    Florence regarda Élisabeth, les yeux amusés. Elle essayait désespérément de lui rendre la situation sinon agréable, du moins tolérable. Élisabeth ne semblait pas s’en rendre compte. Florence jeta ensuite un furtif regard de reproche