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L'envol des tourterelles

Titel: L'envol des tourterelles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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difficilement, ne cessant de se remémorer le souper, durant lequel il avait relaté toutes ses expériences et ses découvertes montréalaises sans jamais mentionner le nom de son oncle ni celui de Florence, ne parlant d’elle que comme de l’élève d’Élisabeth. Il tomba enfin de fatigue, trouvant qu’il n’y avait rien de pire que l’animosité entre deux frères – son oncle aurait pu venir les visiter – et rien de plus extraordinaire que les souvenirs ayant l’odeur du parfum et la couleur des cheveux teintés par le soleil couchant.

10
    Florence arriva sur le coup de dix-huit heures. Élisabeth lui demanda de tourner sur elle-même et l’examina à la loupe.
    – Tu ne vas quand même pas jouer en public dans des souliers lacés?
    Pour toute réponse, Florence sortit une paire de ballerines roses. Élisabeth sourit. Florence ne ferait jamais rien comme les autres, mais elle devait admettre que les chaussons créaient un bel effet avec la robe un peu démodée de Florence.
    – Et qui a fait ta robe?
    – Une voisine, avec un vieux patron de Vogue.
    Pour l’occasion, Élisabeth insista pour qu’elles fassent venir un taxi, ce que Florence accepta sans se faire prier, trop heureuse de ne pas traîner son violon, dont elle avait orné l’étui d’un nœud de dentelle taillé dans les retailles de sa robe, dans l’autobus bondé. Le chauffeur les laissa à l’angle des rues De Bleury et Sainte-Catherine, refusant de s’approcher davantage de la Place-des-Arts.
    – C’est l’ouverture p’is il y a une gang de jeunes qui manifestent. Ils doivent bien être deux mille. Dans la radio, ils disent mille, mais moi je dirais plus. En tout cas, les grosses madames p’is les monsieurs habillés comme des waiters avec leur nœud papillon sontmieux de faire attention. Je serais pas surpris que des malfaisants leur «pitchent» de la peinture ou quelque chose comme ça.
    Élisabeth s’était approchée du dossier de la banquette avant et tendait un billet de cinq dollars. Le chauffeur le prit sans délicatesse, visiblement irrité. Élisabeth regarda alors Florence qui, la bouche en grimace, montrait son violon.
    – Pour qui est-ce qu’il nous prend, Drapeau? Des riches? Des grosses poches? C’est rendu qu’on va avoir une exposition universelle en 67, p’is à cause de ça ils vont fermer le parc Belmont 1 . Déjà que ça, ça nous fait perdre des gros clients. Mais à cause de l’Expo, on va avoir un métro. On avait assez des chantiers de la Manicouagan 2 . On n’avait pas besoin de plus de construction que ça pour faire marcher l’économie. Un métro! Ça, madame, ça va nous faire perdre nos jobs, nous autres les taxis. Vis à c’t’heure, c’est la Place-des-Arts. C’est pas pour nous autres, ça, madame. Dans la radio, les jeunes appellent ça «la Place-des-Autres». En tout cas, moi, j’irai jamais. Trop cher.
    Florence n’avait pas entendu les dernières phrases de la diatribe. Elle était sur le trottoir, redoutant que les manifestants postés devant l’entrée principale blessent son violon. Elle saisit le bras d’Élisabeth et lui annonça qu’elle rentrait.
    – Si ce que le chauffeur vient de dire est vrai, qu’est-ce qui me prouve que le FLQ n’a pas déjà planté une bombe à l’intérieur de la Grande Salle?
    – Florence! Calme-toi! Tu me donnes l’impression d’avoir un trac fou.
    – Je n’ai pas le trac et tu le sais. Tout s’est bien passé à la générale. Je vais même pouvoir te rejoindre pour le reste de la cérémonie. Mais j’ai peur pour mon violon, Élisabeth. Si tout à coup une bombe lui arrachait le manche, ou lui tordait les cordes, ou, pire, le décapitait...?
    Florence ne vit pas venir la gifle, aussi demeura-t-elle interdite devant la force qu’Élisabeth avait utilisée pour la lui assener. Celle-ci avait les yeux exorbités et injectés, et Florence eut presque peur de cette femme qu’elle ne connaissait pas. Élisabeth la laissa derrière et se dirigea d’un pas ferme vers la Place-des-Arts. Elle était si furieuse contre Florence qu’elle n’avait pas trouvé de mots pour la faire taire. Florence, toujours interloquée, lui demanda faiblement de l’attendre, mais Élisabeth n’en fit rien. Elle continua d’un pas décidé et c’est sans problème qu’elle se fraya un chemin à travers les manifestants. Elle ne s’aperçut de rien quand un reporter lui braqua un micro sous le menton.
    – Croyez-vous, madame, que c’est

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