L'envol des tourterelles
clignement en était un d’excitation et, chaque fois que Florence le faisait, Élisabeth savait que son poulain était au paroxysme de sa fébrilité et qu’il fallait lâcher la bride. Florence joua avec toute la générosité dont elle était capable, consciente que les membres de l’assistance venaient de tous les pays du monde; songeant qu’elle allait s’éloigner d’Élisabeth; déchirée à l’idée de quitter les Archets, cadeau qu’Élisabeth lui avait inventé pour qu’elle fût premier violon. Les applaudissements allèrent se noyer dans l’eau du fleuve après les trois rappels. Élisabeth embrassa du regard tous ses violonistes, toujours fascinés par le don de Florence. Jan se pencha vers Stanislas pour lui dire à l’oreille que Florence jouait avec le violon de sa grand-mère Zofia. Stanislas le répéta à Sophie, qui fit une grimace d’appréciation et se pencha pour sourire à son oncle.
Sophie suivit Jan avec empressement, impatiente de rencontrer sa marraine et de faire la connaissance de Florence, dont le talent l’avait éblouie. Son père, pensa-t-elle, en aurait bavé de jalousie. Elle corrigea aussitôt sa pensée en se disant qu’il aurait plutôt bavé d’émotion d’entendre le violon de sa mère jouer avec autant de jeunesse. Élisabeth la vit approcher et elle lui tendit les bras en pleurnichant, ce qui n’incommoda pas Sophie, contrairement à ce qu’elle avait anticipé. Stanislas, lui, embrassa à plusieurs reprises la main de Florence qui, coquine, lui demanda si sa main était la seule qu’il avait pour s’alimenter.
– Absolument! Celle de ma mère ne me nourrit plus.
Nicolas, enivré par sa journée, s’éloigna de la famille pour s’approcher du fleuve qui, troublé par l’apparition des îles nouvelles, cascadait près de leurs rivages sans sable, à la recherche de son cours.
Élisabeth avait proclamé que tous les Pawulscy de la troisième génération avaient un air de famille. Elle avait reparlé d’Adam, dont tous connaissaient l’existence, et Stanislas leur avait raconté l’histoire du
Golden Boy
, ce que ni lui ni son père n’avaient révélé jusque-là puisqu’un accord en avait fait leur secret. Maintenant que Jerzy en avait brisé le sceau en le dévoilant à Casimir, Stanislas avait décrété qu’il était relevé de son vœu de silence et avait raconté ses dimanches de Pâques. Ils en avaient tous été chavirés, surtout Jan et Élisabeth, qui étaient les seuls à avoir connu Adam.
Élisabeth accueillit sa filleule chez elle et Sophie n’en fut que trop heureuse. Sa tante n’était pas le spectre larmoyant qu’elle avait imaginé et elle ne détestait pas être éloignée de son frère, même s’ils étaient voisins. Pendant que Stanislas travaillait à l’entrepôt, Nicolas l’emmenait à l’Exposition le jour et la traînait à la Ronde le soir. Ils avaient même pris l’hovercraft pour faire le tour des îles et ils avaient été impressionnés par leur glissade sur un coussin d’air. Stanislas les accompagnait s’il n’était pas trop fatigué, ce qui arrivait peut-être un jour sur trois. Sophie apprit à connaître la douceur et la discrétion de Nicolas, et rigola quand il déclara qu’il lui pardonnait d’être sa cousine et l’invita à un
party
, espérant que personne n’oserait dire qu’ils se ressemblaient.
– Et Stanislas?
– Il travaille toujours le vendredi soir.
– Il va nous retrouver?
Nicolas haussa les épaules pour lui faire comprendre qu’il n’y pouvait rien. Ils allèrent donc au
party
et Nicolas apporta une petite caisse de bière dérobée dans le réfrigérateur de l’épicerie.
– Tu peux boire au Québec à quinze ans?
– Mais non. La majorité, c’est à vingt et un. C’est pour ça qu’on fait des
parties
.
Sophie le suivit, ravie de revoir les amis qu’ils avaient croisés occasionnellement lors de leurs visites à Montréal ou à l’Expo.
– Il n’y a pas de parents?
– Évidemment pas.
Sophie grimaça avant d’affirmer qu’elle n’avait jamais vu pareille chose au Manitoba. La soirée se donnait dans un sous-sol décoré de filets de pêche, avec, aux fenêtres hautes et étroites, des rideaux de bambou. La pièce était éclairée par des bougies fichées dans des bouteilles de chianti. Nicolas et elle s’assirent sur des coussins posés à même le sol, peint en vert et couvert d’acide borique pour faciliter la danse. Des jeunes dansaient
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