L'envol des tourterelles
certainement une mauvaise influence, à moins que ce ne soit lui, la mauvaise influence. Nous, on s’est même demandé si on ne trouverait pas des felquistes dans la maison.
– Des felquistes? Vous voulez rire?
– Vous trouvez que j’ai l’air de quelqu’un qui veut rire?
Était-ce parce que le policier avait un fils de l’âge de Nicolas et qu’il avait pitié de Jan, ou parce que Sophie lui avait montré qu’elle n’avait jamais beuglé en lui chantant un extrait d’une berceuse de Schubert, ou parce que Jan l’avait invité à s’approvisionner à bon compte à son épicerie? Ils n’en savaient rien mais, à l’aube, ils se retrouvèrent chez Jan. Nicolas fut mis au lit par une Michelle affolée, Stanislas était partagé entre son incrédulité et son amusement à l’idée que sa sœur avait séjourné derrière les barreaux, et Élisabeth avait traversé la ruelle en peignoir et s’était hâtée de faire du café.
– Du Schubert? Tu lui as chanté du Schubert?
Stanislas était le seul à trouver comique que sa sœur ait chanté un air classique au lieu de fredonner une ballade mielleuse, pour endormir la méfiance du policier.
– Avec ta voix de colorature?
– Évidemment!
Jan ne savait que penser de l’aventure de son fils et de sa nièce, justifiant le tout par le fait que les policiers avaient redoublé de prudence à cause de l’Exposition universelle. Mais le fait que ces jeunes avaient été emmenés sans mandat et même soupçonnés d’être felquistes lui donnait la chair de poule et ébranlait plus qu’il ne voulait l’admettre sa confiance en son pays. Michelle ne comprenait rien à l’enjeu des événements et répétait sans cesse qu’elle ne pouvait croire que Nicolas eût volé une caisse de bière et encore moins qu’il se fût enivré. Sophie se taisait, préférant, pour protéger son cousin, le silence à la délation lâche et enfantine.
Nicolas ne se leva qu’au milieu de l’après-midi, alors que tous vaquaient à leurs occupations. Il réussit cependant à rejoindre Sophie, qui vint le retrouver et lui raconta non seulement la réaction de la famille, mais tous les événements de la veille, dont il n’avait aucun souvenir.
– Une descente?
– C’est comme ça que tes amis ont appelé ça.
– Tu dis que nous sommes allés en prison?
– Oui, mon cher. En auto avec deux concombres et une cerise dessus.
– Deux concombres?
– C’est ce que tu as dit.
– Et mon père?
– Ton père, c’est du bonbon et je suis bougrement jalouse. Je comprends que Stanislas n’aime que lui.
– Ah oui?
– Oui, certain. Je regrette simplement que ce ne soit pas lui que ma mère ait rencontré en premier.
Nicolas ne dit plus rien, venant de recevoir la confirmation de ce qu’il soupçonnait depuis toujours: son père lui préférait Stanislas.
25
Jerzy sortit de la maison et respira profondément, heureux de la récolte qui s’annonçait abondante, puis marcha jusqu’à l’extrémité du champ de haricots et commença à jouer du violon. Le ciel lui sembla devenu une merveilleuse caisse de résonance, tant les sons qui s’envolaient de son instrument étaient purs. Il refoula la pensée que ces espaces, cette lumière, ces verts et ces bleus pourraient lui manquer. Stanislas et Sophie devaient arriver au milieu de l’après-midi de ce premier dimanche d’août et il voulait absolument se préparer à leur retour, trouver les mots pour leur annoncer que la vente de la terre était presque conclue. Casimir et lui avaient trouvé un acheteur qui était prêt à prendre possession des lieux avant les premières neiges. Un jeune marié et futur père dont la femme devait accoucher à la fin d’octobre, ambitieux et travaillant comme tous les hommes qui essaient de rapprocher l’horizon pour ne plus avoir le vertige de la vie comme il l’avait eu, lui aussi, avant la naissance de Stanislas.
À son grand étonnement, Casimir avait pris son premier week-end de congé et Anna avait soupiré, heureuse et gourmande à l’idée d’être seule avec lui durant deux jours. La présence de Casimir, toute discrète qu’elle fût, était parfois un peu incommodante, même s’ils savaient tous qu’il avait le meilleur employéde tout le village, peut-être de tout le comté. Avec Casimir, il avait retrouvé l’amitié endeuillée de Karol, amitié qu’il n’avait jamais pu remplacer.
Le soleil lui indiqua qu’il devait rentrer s’il voulait
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