L'envol des tourterelles
sur l’air de
Winchesters Cathedral
et Nicolas les regarda fixement, soudainement intimidé par la présence trop remarquée de sa cousine. Il lui offrit une bière, qu’elle accepta avec empressement mais ne but pas. Il en avala une en quatre gorgées et en ouvrit une deuxième.
Une clameur vint du haut de l’escalier et Nicolas vit arriver les trois musiciens de son école, qui avaient la prétention de vouloir enregistrer un disque. Ils transportaient leur équipement, et la moitié des jeunes furentravis alors que la seconde moitié se désolaient à l’idée qu’ils cesseraient d’entendre les Beatles et les Sinners. En moins d’une demi-heure, les amplificateurs étaient branchés et la batterie montée.
–
One, two, testing
. Un, deux, un, deux.
– Pas besoin de tester. C’est bon. Commencez.
Ils commencèrent et Sophie fut amusée. Son groupe était certes meilleur, mais celui-ci se défendait bien. Elle ne connaissait pas toutes les pièces, mais, quand elle en identifiait une, elle se trémoussait, se bâillonnant pour ne pas chanter.
Nicolas ne cessait de la regarder. Il avait craint de revoir cette cousine qui lui avait fait souiller ses culottes et raté un voyage, mais elle n’en avait jamais rien su. Maintenant qu’il avait réussi à la regarder dans les yeux, il pourrait peut-être retourner au Manitoba.
– Ils s’appellent «The Spiders».
– Ouach! C’est laid.
– Ils disent qu’insecte pour insecte, ce n’est pas pire que «Beatles».
– Pourquoi pas «The Butterflies»?
– Pas possible! Tu ne connais pas «Iron Butterfly»?
Une cigarette circula et Sophie eut soudainement peur. Nicolas la prit et la lui offrit. Sophie répondit candidement qu’elle ne fumait pas, ce qui amusa les trois garçons et la fille assise avec eux.
– C’est à cause de ma voix. Quand on chante, il ne faut pas fumer.
Les amis de Nicolas rirent encore plus fort. Quant à Nicolas, il tira sur la cigarette à petites bouffées qu’il retint longuement avant d’exhaler, hoquetant et toussotant. Sophie se pencha à son oreille pour lui demander si c’était du
grass
.
– Ici, on dit du
pot
, et c’en est.
Elle regarda autour d’elle et vit d’autres cigarettes. Elle voulut partir mais n’osa pas, de crainte de se faire traiter de
sissy
. Elle n’adressa plus la parole à Nicolas, cherchant à fixer son regard sur autre chose que les cigarettes roulées et effilées et les bouteilles de bière. L’orchestre jouait toujours, et, ne pouvant plus se contenir, elle se leva et s’avança vers le chanteur, lui prit doucement le micro des mains et commença à chanter avec un trémolo d’inquiétude dans la voix. À son grand bonheur, elle eut l’impression d’être écoutée. Nicolas lui souriait d’un air benêt, une bière dans une main, un petit cylindre de papier évidé et noirci dans l’autre. Elle ferma les yeux et décida de faire fi de tout ce qui se passait dans ce
party
pour chanter jusqu’au petit matin s’il le fallait, mais chanter afin de ne rien voir et de ne rien entendre. Elle eut cependant conscience qu’on l’applaudissait après chaque chanson, et elle entendit aussi des sifflements d’encouragement et de plaisir. Nicolas, lui, après une tentative avortée pour se relever, avait échappé sa bière et était retombé sur un coussin, béat d’admiration.
Personne n’entendit sonner le téléphone, pas plus que le carillon de la porte. Personne non plus n’eut connaissance qu’on frappait avec beaucoup d’insistance à la porte avant et à la porte arrière. De la lumière apparut dans trois des fenêtres, ce qui lança une douche glacée sur le groupe de fêtards. Sophie, qui avait les yeux fermés, fut la dernière à se taire, alertée par le silence qui avait envahi le sous-sol comme une brume poisseuse. Une ombre s’accroupit devant une fenêtre.
– Police! Ouvrez la porte!
– Est-ce que vous avez un mandat?
Tous les yeux se tournèrent vers Nicolas qui, toujours affalé sur le dos, avait posé la question d’une voix pâteuse, le sourire aux lèvres.
– Non, mais on a reçu quatre plaintes.
Trois jeunes se précipitèrent dans la salle de bains et jetèrent dans la cuvette toute la marijuana qu’on leur remettait avec empressement. La jeune fille près de laquelle Sophie s’était assise monta l’escalier et redescendit presque aussitôt avec quatre policiers. Tous les autres jeunes affichaient un air qu’ils souhaitaient à la
Weitere Kostenlose Bücher