L'envol des tourterelles
crainte, l’hypocrisie et le mensonge étaient les seules choses permises.
– C’était tellement plus facile à Montréal.
Jerzy, exaspéré par cette remarque, lui suggéra d’y retourner si tel était son désir. Elle grimaça, éclata en sanglots et monta à sa chambre. Stanislas demeura silencieux, regarda sa mère en pleurant presque, s’approcha d’elle, lui prit la main qu’il baisa à plusieurs reprises, soufflant dessus entre ses bises pour alléger le mal de la brûlure qui avait commencé à cloquer. Il se pencha et empoigna sa valise.
– Qu’est-ce que tu fais?
– Probablement la même chose que toi à mon âge. À chacun sa guerre, papa.
26
Stanislas marcha pendant près d’une heure avant de rebrousser chemin, non pour retourner à la maison mais pour intercepter Casimir afin de lui demander son aide. Celui-ci était le seul à pouvoir fléchir son père, sa mère ayant apparemment perdu de son ascendant. Il s’arrêta à un demi-kilomètre de la maison, le courage en berne et la larme à l’œil comme un morveux. Il s’installa au pied d’un arbre, la tête appuyée contre le tronc rugueux, bercé par le chant des grillons qui avaient envahi les champs pour y faire bombance. Jamais il n’avait autant mesuré les déceptions qu’avait dû rencontrer son père. Il fallait que celui-ci ait trouvé sa vie pénible pour vouloir faire marche arrière et retourner dans le pays habité par les fantômes de son passé. Il lui avait répété cent fois qu’il n’était pas intéressé à aller vivre en Pologne, même s’il était d’origine polonaise, même s’il parlait la langue, même si son nom se terminait en «ski». Car c’était là tout ce qu’il avait de polonais. Le temps passa et, Casimir n’arrivant pas, Stanislas recommença à faire de l’auto-stop. En moins de deux, il fut dans une automobile qu’il devina neuve à l’éclat du chrome des pare-chocs.
Aussitôt descendu de la voiture près de Winnipeg, il chercha le relais des routiers et trouva rapidement un chauffeur en mal de compagnie qui le conduisiten plus de deux jours jusqu’à la banlieue de Toronto. Pendant le trajet, il essaya de ne pas s’endormir mais il ferma occasionnellement les yeux, le temps d’un lever ou d’un coucher de soleil. S’il lui arrivait d’avoir envie de crier au chauffeur de freiner ou de rebrousser chemin, il se taisait, le spectre de la colère de son père et la menace du déménagement étant plus forts que le terrible sentiment d’impuissance qui l’habitait depuis qu’il avait repris sa valise sans même l’avoir ouverte. À Toronto, il se souvint que son père lui avait dit s’être logé au
YMCA
. Il décida donc de l’imiter et trouva une couche propre et une douche tiède mais savonnée. Il se coucha, s’endormit rapidement, mais fit trois cauchemars si affreux qu’il préféra se lever avant l’aube et partir à l’heure où seuls les chauffeurs de tramway et les camelots se croisent dans la rue.
Il continua sa route jusqu’à Montréal et retrouva l’air de fête de l’Exposition, mais l’atmosphère ne réussit pas à l’égayer, sa jovialité ayant été abandonnée sur le plancher de la cuisine de Saint-Norbert, juste à côté de son insouciance.
Il se dirigea directement vers la rue de la Commune et Jan ne parut pas surpris par son arrivée. Il était occupé au téléphone mais il lui fit signe de s’asseoir. Stanislas obéit silencieusement, espérant ne pas avoir l’air aussi piteux et misérable qu’il se sentait. Jan raccrocha et le regarda en lui faisant comprendre sans dire un mot qu’il ne savait que faire, écartelé entre son plaisir de le voir là et son malaise par rapport à ses parents.
– Je t’attendais depuis trois jours. Ta mère a téléphoné.
Stanislas avait l’intérieur du ventre qui tremblotait et il ne sut reconnaître le chagrin de les savoir inquietset le manque de sommeil qui se manifestait par ces sursauts semblables à des frissons.
– Je peux expliquer.
– Ce n’est pas nécessaire. Ils t’attendent, Stanislas.
– Est-ce que je peux rester ici?
Jan se leva en se grattant la nuque comme s’il pouvait faire disparaître les picotements d’embarras qu’il ressentait. Il lui répondit qu’il avait besoin de temps, pour en discuter d’abord avec Michelle et Nicolas et ensuite avec Tomasz.
– Ton grand-père est toujours de bon conseil.
Stanislas lui jeta un regard inquiet, craignant soudain
Weitere Kostenlose Bücher