L'envol des tourterelles
retrouva de l’autre côté, avec la conviction qu’elle avait fait exprès pour se placer à la gauche de sa mère quand elle avait vu qu’il se dirigeait vers sa droite. Tout au long du trajet du retour, il décida de retarder le moment où il leur remettrait leurs billets d’avion, que Casimir était allé chercher la veille. Il décida d’attendre son ami, souhaitant qu’il leur fasse pour la centième fois une sympathique apologie des grandeurs de la Pologne.
Pendant le souper, Stanislas leur raconta en riant le culot qu’avait eu Sophie de se présenter à un concours organisé au pavillon de la Jeunesse, concours qu’elle avait remporté haut la main, au grand amusement de Florence, de Nicolas et d’Élisabeth.
– Ce sont des connaissances de Nicolas, les Spiders, qui l’ont réclamée et accompagnée. Elle a chanté cinq chansons et a eu trois rappels.
– C’est vrai? Et tu les as connus à quel endroit?
– Chez des amis de Nicolas.
Elle avait répondu avec un aplomb qui impressionna son frère, qui lui avait évidemment juré de ne jamais révéler sa mésaventure avec les policiers. De son côté, elle avait promis de ne jamais raconter qu’il avait embrassé Florence à l’âge de treize ans.
– Si tu n’y vois pas d’objection,
mamusia
, je n’irai pas l’été prochain, mais l’été d’après. Nicolas...
– Comment va-t-il, ce petit cousin timide?
– Il va bien et il n’est pas aussi timide qu’on pense. Il aimerait venir travailler à la ferme...
– Cela ne sera pas possible.
Jerzy avait vu une brèche et avait décidé de s’y faufiler, mais il avait parlé un peu trop fort au goût d’Anna et son ton eut l’effet d’un claquage. Elle mit son visage dans ses mains, consciente d’assister au début des hostilités, car Jerzy venait de commencer une guerre dont elle ignorait le dénouement. Stanislas regarda son père comme s’il venait de commettre une hérésie quant à l’accueil que méritait son cousin. Sophie poussa un cri de protestation, humiliée à l’idée de ne pouvoir rendre à Nicolas toutes les attentions qu’il avait eues pour elle.
– Nicolas sera toujours le bienvenu sous mon toit, mais, s’il veut nous visiter, c’est en Pologne qu’il devra venir. Parce que la maison et la terre sont presque vendues, et vos billets d’avion devraient arriver d’une minute à l’autre.
Stanislas et Sophie étaient tous les deux en état de choc, se demandant ce qui venait de les assommer. Ce fut Sophie qui réussit la première à se ressaisir.
– Tu n’as pas le droit!
Jerzy fut abasourdi par la véhémence de sa réplique.
– Mais oui, j’ai le droit. Comme j’avais le droit de venir au Canada.
– Toi, oui, tu peux faire ce que tu veux, mais moi, je ne suis pas obligée de te suivre.
Anna fit un petit geste de la main, que Sophie interpréta comme une supplication de se taire et de se rasseoir. Elle la fusilla du regard, comprenant mal que sa mère ait pu autoriser une pareille ignominie. Stanislas arpenta la pièce lentement, pondéré comme toujours. Il se tourna finalement vers son père et lui demanda, sans agressivité, pour quelle raison il était venu au Canada. Jerzy répondit qu’il le lui avait répété au moins mille fois.
– Tu m’as dit que c’était parce que tu ne pouvais pas rentrer en Pologne.
– C’est ça.
– Pourquoi peux-tu rentrer maintenant? Ce sont toujours les communistes qui sont au pouvoir.
– Oui, mais ils commencent à changer de discours et je ne serais pas surpris que la Pologne s’ouvre de nouveau sur le monde.
– Tu paries trop, papa. Moi, j’attendrais.
– Non seulement je n’ai pas besoin de tes conseils, mais tu es inscrit à l’université de Cracovie et tu commences tes cours la semaine prochaine.
Anna regarda son mari, choquée d’apprendre qu’il les avait inscrits sans l’en avertir. Stanislas, plus qu’alarmé, se laissa choir sur une chaise. Puis, au grand étonnement de tous, il frappa la table de ses poings presque aussi puissants que des enclumes et jura que les choses n’allaient pas se passer comme venait de le dire son père. Anna sursauta et renversa sur sa main la tasse de café brûlant qu’elle portait à sa bouche. Elle poussa un cri de douleur qui n’était rien comparé à celui que Jerzy avait échappé pour ramener son fils à l’ordre. Sophie se boucha les oreilles en répétant qu’elle n’en pouvait plus de vivre dans une maison où la
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