L'envol du faucon
et des Siamois. Je gagnerai la France sur l'autre bateau.
— Qui conduira la mission à Mergui ? demanda Cébéret.
— Pourquoi pas vous, Claude ? suggéra La Loubère. Le général Desfarges doit rester à Bangkok. Son départ éveillerait trop de soupçons.
— Je ne suis pas un soldat, Simon, répondit Cébé-ret. Vous devez envoyer un militaire. En outre, il paraîtra très bizarre qu'en ma qualité de directeui du commerce je ne sois pas celui qui aille à Songkhla.
— Qui pourriez-vous envoyer à Mergui, mon général ? demanda La Loubère.
— Le chef d'escadre Vaudricourt, Votre Ex silence, est l'officier de plus haut rang. Et le plus capable.
— Très bien. Préparons-nous donc à un départ immédiat. »
Comme cela tombait bien que Phaulkon lui eût demandé de réduire les effectifs des forces frança ses à Bangkok pour apaiser l'opinion publique ! songea La Loubère. Et comme il était approprié que ce démon fût, de ce fait, celui qui allait faciliter la prise de Mergui par les Français...
32
Thomas Ivatt donna un pourboire au chef des bateliers qui l'avait transporté sur ses épaules à travers le ressac et déposé sur la plage. Quelle couti îme ridicule ! se dit-il, sauf bien sûr quand il s'agissait de dames, mais tout cela faisait partie d'un simulacre permanent visant à entretenir l'image de l'im sortance de l'homme blanc à Madras.
Il était midi. Il détala comme un lièvre sur le sable brûlant pour atteindre la porte de la Mer, qui co îsti-tuait l'entrée du fort St George. Il passa devant 1T abi-tuelle nuée d'indigènes vêtus de pagnes et enturtannés, qui contrastaient fortement avec les Blancs — visage rubicond, haut-de-chausses, bas et ;ha-peau. Tel un serpent géant, une colonne de gracieuses Tamoules en sari éclatant, portant d'énoimes cruches en équilibre sur la tête, se frayait un chemin dans le fort. La nuit tombée, elles retourneraient, comme le reste de la masse grouillante des indigènes, dans leur masure de la ville noire dépenser leur maigre salaire pour survivre et gagner quelques heures de repos bien mérité. Ivatt avait toujours voulu explorer la ville noire de Madras qui s'était développée dans l'orbite du port, et où les quelque trois cent mille indigènes étaient six cents fois plus nombreux que les Blancs. On disait qu'elle contenait des bazars chinois, indiens, européens ; les résidences de certains riches marchands arméniens avaient la réputation d'être de vrais palais. Ils y avaient même fait ériger leur propre église.
Comme il s'approchait de la porte de la Mer, son attention fut attirée par un groupe d'indigènes à demi nus que lorgnait une foule qui grossissait rapidement. Il se joignit aux curieux et suivit leurs regards. Il y avait quelque chose de tout à fait bizarre dans l'apparence de ces indigènes, et il lui fallut une seconde ou deux pour se rendre compte de quoi il s'agissait. Il les dévisagea, cloué sur place. Ils n'avaient plus de nez ! On le leur avait tranché. Pris d'un malaise soudain, il s'appuya contre l'épais rempart du fort pour retrouver son équilibre. Les porteurs chargés de ses bagages s'arrêtèrent derrière lui et contemplèrent le spectacle d'un air impassible. Qu'avait-il lu à propos de ces pauvres diables sans nez ? C'étaient des prisonniers de guerre, bien sûr. Telle était la marque de prisonniers faits par les Moghols. Donc ces derniers avaient bel et bien envahi Golconde. Il se demanda s'ils s'étaient déjà débarrassés d'Ali Beague. Il s'obligea à ne pas regarder de nouveau, et entra d'un pas chancelant dans le fort. Dans la cour, derrière la porte, il y avait une autre foule qui cette fois regardait bouche bée un cadavre suspendu par une corde à une potence. C'était celui d'un Blanc.
Elihu Yale était d'humeur exécrable. Des orcres étaient arrivés de Londres : les ordres habitu ;ls, impitoyables, qui faisaient fi des conditions loca es, les habituelles exigences mesquines de dirigeant.;, à des milliers de milles de distance, qui n'avaiînt jamais mis les pieds à Madras ni probablem ;nt d'ailleurs à Calais.
La famine menaçait, la peste s'était déclarée, les Moghols qui s'étaient rendus maîtres de Golcoiide exigeaient une renégociation du bail pour le fort et il venait d'ordonner que son valet fût pendu. Pendant ce temps, tout ce à quoi les directeurs mercenaires de Londres étaient capables de penser était un nouveau décret limitant le nombre de
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