L'envol du faucon
d'autre que du roi de France et, sur ses ordres, du roi de Siam !
— Pourtant, vous ne semblez faire que ce que Phaulkon vous dit. En ma qualité de chef de cette mission, je vous ordonne de mobiliser immédiatement vos hommes et d'établir un plan d'action approprié.
— Je dois refuser, monsieur, car cela va à l'encontre des ordres de mon souverain. Nous n'avons pas encore épuisé tous les moyens. Bien au contraire, nous faisons de grands progrès. Nous sommes ici depuis deux mois à peine et nous avons déjà des Français qui servent dans la garde du corps de Sa Majesté à Louvo, nos hommes sont bien installés dans le fort, nous contrôlons le port de Bangkok et voici qu'on nous offre Songkhla.
— Et qu'en est-il de Mergui, mon général, et de notre objectif premier, la conversion du roi de Siam ? Car c'était ça, nos ordres ! cria La Loubère.
— J'ai passé un certain temps à Louvo avec le roi, monsieur, s'obstina Desfarges. J'ai vu combien Sa Majesté insiste pour recevoir régulièrement une ins-truction religieuse, en dépit de son état de santé déplorable. J'ai observé tout cela, monsieur. Je n'ai pas gaspillé mon temps à écrire un mémoire. »
Le visage de La Loubère s'empouipra. « Vous refusez d'obéir à mes ordres, mon général ?
— Je refuse d'obéir à tout ordre qui contredit les souhaits de mon souverain.
— Vous en subirez donc les conséquences, mon général. Car je retourne immédiatement en France et recommanderai que vous passiez en cour martiale. »
Desfarges, bouche bée, regarda La Loubère. Il se tourna vers Cébéret. « Qu'en dites-vous, monsieur • N'avons-nous pas déjà beaucoup obtenu ? Quelles raisons avons-nous présentement pour déclarer la guerre ? »
Cébéret se gratta la tête. « A dire vrai, les concessions ont été lentes à venir, mon général. Et notrî demande concernant Mergui n'a pas encore été satis -faite. Il est difficile de juger de la valeur de Songkhl à sans l'avoir vu. J'aimerais m'y rendre dès que possible, mais Mergui a toujours été notre objectif con -mercial premier, et je me sentirais certainement plus satisfait si l'on nous l'avait accordé à la place.
— Ce qui n'est pas le cas, fit observer La Loubèie d'un ton glacial.
— Peut-être devrions nous attendre encore un peu, ajouta Cébéret. L'idée d'une guerre à ce stade... »
La Loubère lui coupa la parole. « Je ne me laiss rai pas retarder plus longtemps. Je prends immédi i-tement mes dispositions pour partir. Je ramènerai cinquante des éléments les plus indisciplinés de l'armée en France pour qu'ils soient jugés. Ils ne so ît pas dignes de servir notre grand souverain à 1'étranger. » Il regarda Desfarges droit dans les yeux. « C'e st votre chef, Phaulkon, qui a émis l'idée de transférer certains de ces hommes à Songkhla, général. Je feiai croire que je les y emmène. »
Desfarges réfléchissait à toute vitesse. La menace de la cour martiale le terrifiait. « Je crois que j'ai un plan, Excellence, dit-il avec conviction. Si le seigneur Phaulkon a suggéré que vous emmeniez cinquante hommes à Songkhla, pourquoi ne pas en emmener cent de plus sur deux bateaux ? Nous pourrions débarquer les cinquante à Songkhla et utiliser les cent autres pour nous emparer de Mergui. Accepte-riez-vous au moins de retarder votre départ jusqu'à ce que je me sois emparé de Mergui, Votre Excellence ? »
La Loubère eut une brève hésitation. « Non, je ne suis pas disposé à perdre davantage de temps. Ce ne sont pas les occasions qui vous ont manqué. De plus, même si vous preniez Mergui, l'objectif premier de notre mission ne serait pas rempli.
— Mais ce serait un grand pas dans la bonne direction, Excellence, insista Desfarges.
— A n'en pas douter », renchérit Cébéret.
La Loubère prit un air pensif. Au bout d'un long silence, il déclara : « Tenez, je suis disposé à vous aider de la façon suivante. Je mentirai à Phaulkon pour vous. Je l'informerai que je ramène en France cent soldats supplémentaires parmi les éléments les plus indisciplinés, en plus des cinquante pour Songkhla. J'accompagnerai moi-même les hommes à Songkhla sur deux bateaux. Nous en débarquerons cinquante à Songkhla, puis les deux bateaux feront mine de partir pour la France. Dès que nous serons hors de vue du rivage, nous transférerons les cent hommes restants sur un seul navire qui partira discrètement pour Mergui, à l'insu de Phaulkon
Weitere Kostenlose Bücher