L'envol du faucon
rendirent son salut et lui firent signe de s'asseoir.
« J'espère que vous avez fait bon voyage, mon général, s'enquit La Loubère. Bon, j'en viendrai directement au fait, car mon temps au Siam tire peut-être à sa fin. » Le général haussa les sourcils mais garda le silence.
« Le Seigneur Phaulkon était ici, il y a deux jours, pour nous offrir le port de Songkhla. C'est la raison pour laquelle je vous ai fait venir. J'ai enquêté comme il se doit : Songkhla est une base commode pour le commerce avec les pays au nord, mais ce n'est pas Mergui. Et Mergui est le port que Sa Majesté, le roi de France, nous a ordonné d'obtenir. A mon avis, Songkhla est une concession supplémentaire de la part de Phaulkon pour nous faire tenir tranquilles un peu plus longtemps et pour nous distraire de nos objectifs réels. Ces objectifs, messieurs, ajouta-t-il avec un regard sévère, n'ont toujours pas été remplis. »
Desfarges prit un air grave. « Mais, Votre Excellence, Songkhla n'est-il pas un port des plus stratégiques à partir duquel les Portugais ont, par le passé, largement commercé avec la Chine ? » Phaulkon lui avait amplement vanté les mérites de Songkhla avant son départ. Il se tourna vers Cébéret pour confirmation. « N etes-vous pas d'accord ? »
Avant que Cébéret eût pu répondre, La Loubère frappa énergiquement du poing sur la table. « Ces concessions au compte-gouttes ne suffisent pas, voilà tout, mon général ! Pas plus que l'état scandaleux dans lequel se trouve votre armée. La discipline est virtuellement absente du fort. Vos hommes sont soit ivres, soit en train de se quereller pour une femme.
— Mes troupes ne sont pas aussi indisciplinées que vous le dites, monsieur. Dans toute armée d'occupation, il est inévitable que des incidents se produisent, protesta Desfarges.
— Oui, mais pas quotidiennement. Les Siamois sont les seuls ici à faire preuve de discipline, tandis que les troupes françaises passent leur temps à les tourner en ridicule. Les tensions nous ont menés à un point de rupture. Mon général, vous passez trop de temps loin de votre poste. »
Desfarges eut l'air perdu. « Mais, Votre Excellence, j'ai aussi des devoirs à remplir à Louvo ! N'ai-je pas juré d'y défendre le roi ? De plus, j'ai toujours pendant mes absences confié le commandement à des officiers dignes de confiance.
— Des officiers dignes de confiance ? railla La Loubère. Leur conduite ne vaut pas mieux que celle de leurs hommes ! » Il se pencha en avant. « Peut-être ignorez-vous que, pas plus tard qu'hier, trois soldats français sont morts dans une prise de bec au sujet de quelque batelière. Deux d'entre eux étaient des officiers. »
Desfarges parut décontenancé. « Qui sont-ils ? Que s'est-il passé ?
— Frontin et Briamont. Quatre d'entre eux, qui convoitaient les mêmes batelières, sont montés sur la même embarcation. Une rixe a éclaté au milieu du fleuve et la pirogue a chaviré, noyant trois des Français et les deux batelières. Le quatrième soldat a réussi à regagner la berge à la nage. » Il se tourna vers Cébéret pour confirmation.
« Je ne peux que confirmer, mon général, fit observer le directeur du commerce. Chaque fois que vous partez, les choses semblent dégénérer. Les hommes sont toujours à se battre.
— Ça ne peut plus durer. S'ils doivent se battre, continua l'ambassadeur, qu'ils se battent au moins avec l'ennemi ! Il est grand temps que nous imposions les ordres de notre souverain. Il me paraît claii que tous les moyens pacifiques pour parvenir à nof fins ont été épuisés. »
Desfarges le regarda fixement. « Vous voulez dire, Votre Excellence, que vous prônez la guerre ?
— Oui, mon général. Cela semble être la seule voie qui nous reste. Nous sommes venus ici avec un objectif précis. Remplissons-le. Il semblerait en outre que le moment soit des plus opportuns. Vos hommes ont visiblement besoin d'action et vous avez eu amplement l'occasion d'étudier la puissance des forces armées siamoises. Je veux que vous m'établissiez sur-le-champ un plan d'invasion du pays. »
Desfarges continuait à le fixer. « Mais nous sommes en termes très amicaux avec le Siam, et mes relations avec les autorités de Louvo sont des plus cordiales.
— Vous voulez dire, mon général, que vous êtes devenu le serviteur du seigneur Phaulkon... »
Le général se redressa sur sa chaise. « Je ne suis, monsieur, au service de personne
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