L'envol du faucon
voix. Celle, furieuse, de White déchira l'air de la nuit. « Je vous ai dit cent fois que c'est moi qui commande ici. Les indigènes n'obéissent qu'à moi, et à personne d'autre ! Comment se fait-il que vous ne me croyiez pas sur parole ? De nouveau, il semble que vous mettiez mon honneur en doute.
— Votre suggestion, monsieur, que ces hordes d'indigènes craignent une attaque de notre part ou qu'ils sont venus vendre de la noix de bétel à pareille heure de la nuit, est grotesque. Vous ne pouvez m'affirmer que c'est normal. Je ne saurais trop vous conseiller d'envoyer un messager pour leur demander ce qu'ils font. » La voix de Mason avait perdu toute prétention à la retenue.
« Ridicule ! explosa White. Puisque vous redoutez un danger là où il n'y en a pas, j'escorterai personnellement le capitaine Weltden jusqu'à son bateau et serai son garde. »
White surgit en chemise de nuit. Apercevant Weltden, il accéléra le pas et atteignit le quai en haletant. Il s'approcha de Weltden d'un air décidé et gesticula furieusement en direction de l'embouchure du fleuve.
« Je vous invite à ordonner qu'on fouille toutes les embarcations des indigènes, mon capitaine. »
Mason se glissa devant White. « Le seigneur White, dit-il, m'a informé qu'il n'y a rien d'autre sur ces bateaux qu'une bande de gaillards inoffensifs venus vendre un peu de noix de bétel ! Je vous demande un peu, mon capitaine, à pareille heure ? » White se retourna, irrité. « Je ne faisais que plaisanter, imbécile ! » Il se tourna vers Weltden et, d'une voix tremblante d'indignation, répéta son invitation à fouiller les bateaux des indigènes.
« Ce ne sera pas nécessaire, Samuel, répliqua calmement Weltden. Pourquoi ne pas vous joindre à nous à bord du Curtana pour boire quelque chose avant de vous coucher ? »
Pris au dépourvu, White hésita. Il jeta un coup d'œil au capitaine, puis à sa chemise de nuit. A la consternation de Mason, il haussa les épaules et monta dans la chaloupe du Curtana.
« Un peu de gaieté, Mason », dit Weltden, quelque peu étonné lui-même que White eût accepté son offre, mais extrêmement soulagé d'avoir calmé son indignation. Il n'avait jamais rencontré un homme aux sautes d'humeur si imprévisibles et si explosives. « Vous avez l'air terriblement lugubre. Comme le seigneur White l'a fait remarquer, ces hommes ne sont qu'un élément du dispositif de défense de la ville. S'ils avaient eu de sinistres desseins, ils nous auraient certainement déjà attaqués. Nous étions des cibles faciles, non ? »
Mason ne répondit pas. Bientôt le groupe montait à bord du Curtana. L'officier de service, ahuri, ne pouvait détacher son regard de la chemise de nuit de White.
Les officiers prirent congé et Weltden conduisit White à sa cabine. Il remplit deux verres de son meilleur whisky. White et lui ne tardèrent pas à être d'une humeur des plus joyeuses, se portant mutuellement d'innombrables toasts, et multipliant les allusions sibyllines au succès de leur mission.
Près de Tenasserim, Francis Davenport revenait à la vie. Phaulkon avait ordonné à ses cuisiniers de lui préparer un repas nourrissant tandis que ses barbiers s'étaient vu enjoindre de mettre de l'ordre dans la tignasse rebelle du secrétaire. Puis ses esclaves l'avaient lavé et massé, et au coucher du soleil Davenport était à nouveau presque reconnaissable. Les cernes autour de ses yeux et son apparence émaciée subsistaient, mais il était entendu qu'une bonne nuit de sommeil sur un sol meuble avec des couvertures propres contribuerait beaucoup à restaurer ses forces.
Phaulkon n'avait pas appris grand-chose de Davenport qu'il ne sût déjà, mais il était indubitable que son apparition était un coup de chance. Davenport connaissait Mergui par cœur ainsi que l'emplacement exact des maisons des Maures siégeant au conseil. Il était aussi apparu qu'il connaissait deux ou trois des officiers qui se trouvaient à bord du Résolution. Cela pourrait se révéler pratique si, comme Phaulkon l'espérait, la frégate était encore dans le port.
Phaulkon avait d'abord projeté de partir pour Mergui le lendemain matin avant l'aube, mais il décida de partir en fin d'après-midi afin de laisser à Davenport plus de temps pour se reposer. Ce qui n'était pas sans avantage, puisque cela voulait dire qu'ils arriveraient à Mergui de nuit quand la ville serait en grande partie endormie. Grâce à Davenport, il pourrait
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