L'envol du faucon
bonne politique d'inviter à nouveau Mason, Weld et Hoddy à terre pour cette dernière soirée, afin de les informer du plan. Les officiers renégats ne seraient guère en mesure de s'opposer à l'exécution des ordres initiaux du gouverneur Yale. Cette considération mise à part, il ne conviendrait pas que Weltden découvrît son bateau infiltré par des éléments subversifs quand les enjeux étaient si importants. Pour finir, il fut conclu que le dîner au domicile de White aurait lieu assez tôt afin que tous puissent se coucher à une heure raisonnable.
« Eh bien ! Mon cher Anthony », dit White en souriant malgré la migraine qui lui martelait impitoyablement le crâne, « il ne nous reste plus qu a porter un dernier toast à l'heureuse issue de notre petit projet. »
Weltden se frotta le front. « Je crois que j'ai mon compte. J'ai une meilleure idée. Une salve de canon. Y a-t-il conclusion plus appropriée que de faire tirer six puissantes volées en l'honneur d'un Mergui britannique ?
— Excellente idée tant que vous le faites en direction de la mer, répliqua White avec un large sourire. Vive le roi Jacques !
— Vive sa dernière conquête ! » renchérit Weltden.
Il convoqua l'officier de quart et donna un ordre.
Peu après, il y eut une forte explosion suivie de cinq autres à intervalles réguliers. Le grondement retentissant des canons du Curtana se propagea dans tout le golfe, et au-delà.
Peu avant le crépuscule, les petits restaurants le long du port se remplirent plus vite que d'habitude : les gens semblaient affluer de partout. Quand ils furent bondés, un indigène maigre et basané se mit à arpenter le front de mer avec désinvolture, se grattant sans arrêt la nuque comme s'il eût souffert d'une morsure d'insecte. Peu à peu une poignée d'hommes se détacha des groupes d'indigènes et lui emboîta le pas. La large majorité des paysans restèrent à tirer sur leurs petits cigares et à discuter à mi-voix. Ils avaient tous entendu le canon et savaient que c'était le signal attendu. Ce serait pour cette nuit.
Le petit groupe d'hommes suivit le maigre indigène le long d'un sentier poussiéreux, ombragé de cytises, jusqu'à une petite cabane derrière le port. C'était une cabane paysanne typique, sur pilotis, à toit de chaume. En dehors d'une volumineuse carafe d'eau et d'une mince natte de roseaux, l'intérieur était dépouillé. Ils pénétrèrent tous avec peine dans l'espace exigu et s'accroupirent silencieusement en cercle.
Au centre de la pièce, Selim Yussuf parcourut des yeux l'assemblée tendue. « Bien ! Les gars, le Shahbandar et le capitaine farang sont montés à la maison au sommet de la colline. Vous savez ce qu'il vous reste à faire. Nous commençons immédiatement. Etes-vous prêts ? »
Les hommes hochèrent la tête d'un air gêné. Puis un homme nerveux et grêlé prit la parole avec un fort bégaiement. « Les... les... les... canons, Haut Seigneur... est-ce qu'ils... qu'ils... tiraient sur nous ? »
Un éclair traversa les yeux sombres de Selim. « Ce traître de Shahbandar et son allié étranger fêtaient leur victoire à l'avance », répondit-il en fixant l'homme d'un regard impérieux.
Il y eut des murmures, puis, peu à peu, les hommes se levèrent et disparurent. L'un d'eux se dirigea vers le front de mer où des nuées d'indigènes se joignirent rapidement à lui, le suivirent et gagnèrent furtivement les entrepôts près du quai. Une fois là, ils ne tardèrent pas à maîtriser le garde et se cachèrent à l'intérieur. Le bâtiment était contigu au sentier qui conduisait de la maison du Shahbandar au bas de la colline.
« Terre ! »
Cela faisait vingt jours qu'ils avaient quitté Madras, et la vigie de la Perle venait juste d'apercevoir la côte occidentale du Siam, à environ une journée de route de Mergui. On en informa le capitaine Perriman qui, à son tour, descendit en aviser son éminent passager. La Perle changea de cap et commença à longer la côte vers le sud.
Une fois de plus, Perriman se demanda comment le Curtana s'en était tiré, et si Mergui se trouvait déjà aux mains des Anglais. On ne pouvait jamais être certain de rien dans cette partie turbulente du monde où tempêtes, pirates et maladies tropicales conspiraient à déjouer les plans les mieux préparés. Il avait reçu l'ordre d'aider le capitaine Weltden à s'emparer de Mergui, en cas de nécessité. Il devait aussi veiller à l'arrestation de White, si
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