L'envol du faucon
tournèrent vers La Loubère qi i pour l'instant restait silencieux. Il respira à fond puis fixa fermement ses yeux étroits sur le prêtre. « Père
Tachard, commença-t-il, jusqu'à tout à l'heure, même si je n'arrivais pas à déterminer de quel côté vous étiez, j'étais désireux de vous accorder le bénéfice du doute. Mais ces doutes se sont maintenant évaporés. J'ai le sentiment d'avoir, du début à la fin, écouté le seigneur Phaulkon. Je vais donc maintenant vous donner le point de vue français.
« Une grande partie de ce que vous dites est peut-être vrai, et la situation dans laquelle nous nous trouvons n'est peut-être pas sans ressemblance avec celle que vous décrivez, mais vous l'avez abordée du seul point de vue siamois, en ignorant apparemment le nôtre. Ce que vous n'avez pas envisagé, ce sont les conséquences découlant des diverses options qui, d'après vous, nous sont offertes. La première était de rentrer en France, n'est-ce pas ? Que se passerait-il dans ce cas ? L'alliance avec la France apparaîtrait sans valeur, et les Hollandais, sans personne pour les arrêter, ne perdraient pas une minute pour réaliser leurs ambitions. Le Siam, selon toute vraisemblance, finirait par devenir une colonie hollandaise dont le gouverneur protestant ne serait pas le moins du monde désireux de voir le roi se faire catholique. La deuxième consistait à rester à bord et à risquer la famine. Le manque d'intérêt de ce plan est si évident que je ne prendrai pas la peine d'en discuter. La troisième était de déclarer la guerre. Si, comme vous le suggérez, mon Père, nos troupes devaient être piéti-nées sous les pattes de vingt mille éléphants de guerre, alors les Siamois remporteraient une victoire à la Pyrrhus. Car ils ne nous auraient pas plus tôt vaincus que les Hollandais les avaleraient tout crus. A cet égard, donc, les Siamois seraient dans une meilleure position si nous étions vainqueurs : au moins le roi serait-il à même d'exaucer son apparent souhait de devenir catholique et de forger des liens irrévocables avec la France.
« Mais avant de vous renvoyer à Ayuthia avec ma réponse, mon Père, écoutons le point de vue de mes éminents collègues. Claude, de quelle option serie > vous partisan ? »
Cébéret croisa les mains sur son ventre rebondi. « Je rejette la première en raison du fait qu'il est trop tard pour revenir en arrière. Je recommande, au lie 1 de cela, que nous persistions dans notre demanda concernant Mergui, qui est vital pour nos intérêts futurs dans la région. Quant à faire allégeance au rci de Siam et à son ministre, j'ai beau croire qu'il y .1 peu de cas qui justifient une guerre, je pense qu'uno telle exigence pourrait en constituer un. Il est impen • sable que des soldats français puissent prêter serment d'allégeance à une puissance étrangère.
— Merci, Claude. Mon général ? »
Cela faisait un moment que Desfarges mouraii d'envie de parler. Les mots sortirent de sa bouche comme une salve de canon. « Je rejette d'emblée la première option, monsieur. Il est inconcevable à ce stade que nous allions jusqu'à envisager de rebrousser chemin sans tenter de remplir nos objectifs. Mais si nous restons, ce serait de la folie d'inviter cinq cents ennemis dans notre forteresse. Pour ce qui est de l'armée française jurant allégeance à quelqu'un d'autre que le roi de France, ce serait ni plus ni moins une trahison. Je souscris donc à la troisième option : la guerre. Et je saisis l'occasion pour mettre en garde le père Tachard de ne sous-estimer ni la puissance ni la résolution de l'armée française.
— Merci, mon général. » La Loubère se tourna vers le jésuite. « Eh bien ! Voilà, mon Père. Je suggère que vous retourniez voir votre nouveau maître avec le message suivant. Dites-lui que les Français peuvent être à la fois bienveillants et résolus. Nous acceptons gracieusement le port de Bangkok à la place de Ligor et consentons même à entraîner l'armée siamoise à l'intérieur du fort. » La Loubère ignora les bafouillements de consternation du général. « Pour l'instant, nous laisserons la question de
Mergui en suspens. Nous nous réjouissons vivement de savoir que la conversion de Sa Majesté est imminente et sommes même prêts à lui jurer une allégeance temporaire — sous la forme souscrite par le roi Louis —, mais en aucun cas l'armée française ne prêtera serment à son Premier ministre.
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