L'envol du faucon
tête était endolorie là où il avait heurté le sol en s'évanouissant. Ses mains attachées étaient engourdies. Il essaya de plier les doigts pour faire circuler le sang.
Très haut au-dessus de lui, à travers ce qui semblait être une ouverture étroite, il crut voir une étoile. Il lui fallut un certain temps pour comprendre que l'ouverture était en fait assez grande et que le fait qu'il n'y eût pas davantage d'étoiles était dû à une nuit nuageuse. Il avait conscience de la présence d'une bête dont il reniflait l'odeur forte et primitive. Sa seule consolation était que, quelle que fût la bête en question, elle devait être enfermée, sinon il ne serait plus vivant pour faire ce genre de déduction.
Il en conclut qu'il était dans une fosse aux parois à pic. Il décida d'attendre l'aube pour l'explorer. En attendant, il ferait de son mieux pour se libérer les mains. Il tâtonna autour de lui dans l'obscurité pour trouver un caillou tranchant, puis, lentement, méthodiquement, il y frotta ses cordes jusqu'à ce qu'il eût l'impression de ne plus sentir ses poignets. Mais, chaque fois qu'il était sur le point de renoncer, un grondement sourd tout près de lui l'aiguillonnait. Il lui fallut une heure ou deux, bien longtemps après que les coups de canon et les cris des indigènes eurent cessé, pour que la première corde craquât. Il libéra une main. Une fois la pression enlevée, une douleur fulgurante lui traversa les poignets et les bras. Gisant sur la terre molle, épuisé par ses efforts, il sombra dans un profond sommeil.
Quand il ouvrit les yeux au lever du jour, il se retrouva les yeux dans les yeux avec un tigre adulte. L'animal lui rendit son regard, bâilla nonchalamment puis se mit à lécher sa patte droite.
Le tigre se trouvait dans une cage en bois, à trois pieds de lui. Malgré le froid du petit matin, la sueur perla au front d'Ivatt. Il savait bien comment de tels animaux étaient utilisés au Siam pour torturer les prisonniers. Il avait vu les survivants musulmans de la rébellion macassar mis à mort de cette façon. On gardait les tigres enchaînés dans leurs cages pendant trois nuits et trois jours avec pour toute pâture la contemplation des prisonniers. Le quatrième jour, on attachait les prisonniers à des poteaux et l'on ouvrait les portes des cages. On laissait aux bêtes affamées juste assez de longueur de chaîne pour qu'elles atteignent les extrémités de leurs victimes hurlantes. Chaque jour, on leur laissait un peu plus de chaîne jusqu'à ce que les prisonniers soient dévorés en entier.
Ivatt vit la chaîne attachée au cou du tigre. Mais où était le poteau ? Peut-être l'heure n'était-elle pas encore venue. Il y avait encore trois jours à attendre. Il se demanda futilement qui avait inventé ce châtiment.
Il entendait maintenant les bruits de la ville qui s'éveillait, le cocorico perçant du coq mêlé à l'appel à la prière du muezzin. Comme le besoin de vivre était soudain devenu doux et précieux !
La lumière venue d'en haut augmentant, Ivatt vit que les parois de la fosse étaient en effet à pic. Il se demanda s'il pourrait les escalader. Il en fit deux fois le tour et en testa la fermeté à différents endroits, mais partout la terre s'éboulait sous ses pieds. Un feulement saluait de temps à autre ses efforts. La tâche était impossible. Il s'appuya contre la paroi en terre et contempla son destin. Quelque chose tomba alors à ses pieds. Il leva la tête, mais il n'y avait personne. Il contempla le petit paquet enveloppé d'une feuille de bananier qui avait atterri devant lui. L'animal en fit autant. Alors qu'Ivatt se baissait pour le ramasser, le tigre râla. Il l'ouvrit avec précaution et vit un morceau de viande à moitié cuite. La tête lui tournait tandis qu'il le contemplait. S'agissait-il d'un nouveau raffinement auquel les Siamois n'avaient pas pensé ? Ou bien le prisonnier donnait la viande au tigre et il mourait de faim, ou bien il la mangeait et il était dévoré par le tigre affamé.
Il hésita un moment, puis avança vers la cage et jeta la viande entre les barreaux de bois. L'animal l'avala d'un seul coup et parut un peu apaisé. Il avait au moins cessé de gronder. Il se lécha les babines et regarda Ivatt pour en avoir davantage. De l'époque où il travaillait dans une ménagerie, Ivatt essaya de se rappeler combien de viande un animal de cette taille pouvait consommer. Certainement beaucoup plus que la
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