L'envol du faucon
déposé aux portes du palais, le Seigneur de la Vie n'avait pas voulu en reconnaître le contenu comme son fils unique, en raison de la basse extraction de la mère, et Petraja l'avait consciencieusement déchargé de ce fardeau.
« Avez-vous préparé Sunida avec nos cohortes féminines ? demanda Sa Majesté.
— Puissant Seigneur, elle est prête. Elle a fait déménager tout un monde de plaisirs flottants de
Samut Songhkram à Bangkok. Les dames en question sont déguisées en batelières. »
Il y eut des rires au-dessus de lui. « Excellent, Vichaiyen. A votre place nous y passerions nous-même quelque temps.
— Puissant Seigneur, je ne suis pas sûr que dame Maria le permettrait. » Cette remarque déclencha de nouveaux rires.
« Pas même par devoir ? Eh bien ! Nous sommes très satisfait que tout se passe comme prévu, Vichaiyen. » Le ton de Sa Majesté se fit soudain sérieux. « Nous voudrions que tout soit en place avant d'envisager un déménagement.
— Auguste Seigneur, dit Phaulkon interloqué, vous avez dit déménagement ?
— Nous en envisageons la possibilité, Vichaiyen. Notre santé n'est pas bonne, et nous pensons, comme nos médecins, que l'air de Louvo pourrait mieux nous convenir.
— Puissant Seigneur, dans ces conditions, moi, votre esclave, je déménagerai également.
— Nous verrons, Vichaiyen. Mais ne croyez pas un seul instant que même là-bas nous ne garderons pas un œil sur les affaires de l'Etat. Elles resteront notre principal souci, et la distance n'entamera pas notre vigilance. Qui plus est, nous approchons bientôt de notre cinquième cycle et souhaitons réfléchir au problème de notre successeur. C'est une question qui nous cause de plus en plus de souci. »
Et à juste titre, se dit Phaulkon, que ce chapitre tracassait beaucoup. Au Siam, un frère était considéré comme plus proche dans la lignée qu'un fils, et la succession passait à l'aîné des frères vivants, mais ni l'un ni l'autre des frères de Sa Majesté n'offrait beaucoup d'espoirs. L'aîné des deux, le prince Apai Tôt, était handicapé mentalement et physiquement, estropié, ivrogne, incapable de diriger sa propre maison et a fortiori la nation, et le peuple considérait qu'il était maudit des dieux. Le plus jeune, le prince
Fa Noi, autrefois un beau jeune homme, était en disgrâce et paralysé des quatre membres à la suite de coups de fouet reçus de Petraja. Le jeune prince avait été surpris en flagrant délit avec la concubine favorite du roi, la lascive Thepine. Quoique furieuse, Sa Majesté s'était déclarée incapable de rendre un jugement équitable au sujet de son frère et avait demandé au Président de son conseil privé, le général Petraja, de diriger le procès et de prononcer la sentence à sa place. Le général avait administré la justice avec tant de zèle qu'il avait laissé le jeune prince paralysé à vie.
L'unique fille du roi, la princesse Yotatep, qui avait été amoureuse de son oncle, le prince Fa Noi, et qui en tant que femme ne pouvait succéder à son père, n'était toujours pas mariée. Celui qu'elle finirait par choisir serait bien placé, étant donné les circonstances, pour prendre la succession.
« Puissant Seigneur, puis-je vous demander comment se porte votre estimable fille, la princesse reine ?
— Bien sûr, Vichaiyen. J'ai beaucoup pensé à elle ces derniers temps. Son béguin pour mon plus jeune frère paraît avoir peu faibli malgré sa paralysie. Bien qu'il soit hors de question qu'elle l'épouse en raison de son comportement scandaleux à notre égard, les autres prétendants ne semblent pas pouvoir trouver place en son cœur. Il y a pourtant un jeune courtisan qui nous plaît de plus en plus. Nous souhaitons passer davantage de temps avec lui. et si nous allons à Louvo, nous l'inviterons à se joindre à nous pour la saison de la chasse. »
Phaulkon fut immédiatement alerté. Qui était ce courtisan ?
Le roi ne donna pas de détails et Phaulkon ravala sa curiosité. Ce n'était pas à lui de demander.
« Auguste Seigneur, ce serviteur indigne se permet de suggérer qu'il serait peu politique à ce stade de laisser se répandre la nouvelle de l'indisposition tem-poraire de Votre Majesté. Du moins pas avant qu'un successeur à votre règne sans pareil ne soit fermement en place.
— En effet, Vichaiyen, nous en sommes conscient. Nous pouvons vous assurer que des raisons appropriées seraient données si nous devions
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