L'envol du faucon
couvert après les terribles épreuves que vous avez endurées, je dois vous demander de nous dédommager en répondant à quelques questions.
— Avec plaisir, Votre Excellence, bien que je puisse vous assurer que Sa Majesté siamoise vous dédommagera de toutes les dépenses faites en mon nom.
— J'y viendrai plus tard, monsieur Ivatt. En attendant, puis-je vous demander quel était votre rôle exact à Narasapur ? Qu'est-ce que le capitaine Coates et vous faisiez ensemble ? » Yale tambourina sur son bureau avec sa plume d'oie.
« J'essayais de dissuader Coates de commettre d'autres sottises, Votre Excellence. Quand je l'ai rattrapé, il s'était déjà emparé de La Nouvelle-Jérusalem et exigeait une rançon d'Ali Beague. Je lui ai ordonné de renoncer à cette exigence, mais ce fut en vain.
— Comme Charles Fownes vous en a peut-être informé, La Nouvelle-Jérusalem a non seulement été capturée mais elle a également disparu, Coates avec elle. Elle est probablement, en ce moment même, en route pour Mergui. Coates est parti à son bord après avoir mis le feu à son propre bateau, l' Etoile d'Ayuthia.
— Il a mis le feu à son bateau ? Pourquoi ? »
Yale haussa les épaules. « Qui peut comprendre ce
qui se passe dans un esprit dément ? La Nouvelle-Jérusalem était sans doute un plus beau bateau que le sien. Ou peut-être cet imbécile n'avait-il pas suffisamment de matelots pour manœuvrer les deux bateaux. Qui sait ? Quelles étaient les limites exactes de son autorité, monsieur Ivatt ?
— Le gouvernement siamois a présenté au gouverneur Beague un ultimatum officiel auquel il n'a pas encore répondu. L'attaque de Coates contre Ali Beague était à la fois prématurée et non autorisée.
— De la piraterie pure et simple, monsieur Ivatt, voilà ce que c'est. Et notez bien ce que je vous dis, elle ne restera pas impunie. La politique du Siam consistant à détourner des Anglais du service de la Compagnie pour les faire entrer au sien est nuisible aux intérêts de la Compagnie et partant de l'Angleterre. La Compagnie bénéficie d'une charte royale — j'insiste sur ce mot. La Compagnie, c'est l'Angleterre, monsieur Ivatt. Vous me pardonnerez de ne pas m'adresser à vous en vous appelant seigneur Ivatt, mais je ne reconnais pas tous ces titres étrangers conférés à des Anglais. »
Yale se pencha et baissa soudain la voix. « J'ai été élevé dans une autre partie du monde, dans le Connecticut, où l'on combat un autre genre d'Indiens : les Mohawks. Lorsqu'un Blanc passe dans l'autre camp et se bat au côté des chefs peaux-rouges, nous l'appelons un renégat, quel que soit le titre pompeux que la tribu ait pu lui conférer. »
Ivatt ne broncha pas. « Votre Excellence, je suis incapable de comparer l'ancien royaume du Siam avec le territoire des Indiens d'Amérique du Nord dont je sais trop peu de chose, mais je peux affirmer avec quelque autorité qu'aucun Anglais entré au service du Siam ne s'est jamais battu contre son propre pays. Les deux nations sont alliées et en paix, et votre compagnie, que vous appelez une partie de l'Angleterre, a depuis longtemps un comptoir à Ayuthia.
— Mais, monsieur Ivatt, vous vous battez constamment contre le pays qui vous a vu naître. Peut-être pas une guerre avec des armes, mais une guerre commerciale. Quelle différence cela fait-il en termes de déloyauté ? Votre chef, Phaulkon, est résolu à porter atteinte aux opérations de la Compagnie en augmentant les siennes et donc à détruire la Compagnie elle-même, car la Compagnie vit de son commerce. Pour quelle autre raison a-t-il attiré des dizaines de nos employés à son service, avec l'appât de salaires plus élevés et la promesse de titres factices et de grandes récompenses ? C'est un Grec, il se moque pas mal des Anglais, et je crois savoir qu'il fait même maintenant la cour aux Français. Il est résolu à nous détruire, mais » — le gouverneur pointa sa plume d'oie dans la direction d'Ivatt — « j'ai bien l'intention de l'arrêter.
— Le seigneur Phaulkon croit au concept du libre-échange, Votre Excellence, et non aux monopoles royaux qui remplissent les poches d'une poignée d'élus.
— Au diable le libre-échange ! » Yale tapa du poing sur la table. « Phaulkon a passé trop de temps en compagnie de ce renégat libéral de George White. Si chaque pirate et chaque flibustier était autorisé à s'adonner au libre-échange, il n'y aurait plus d'ordre
Weitere Kostenlose Bücher