L'envol du faucon
mandarins se retirèrent ; Phaulkon emmena La Loubère et les membres de sa mission visiter le palais. On leur montra l'éléphant blanc du roi, une bête splendide, abritée du soleil par une immense ombrelle. On croyait que le grand animal blanc, phénomène rare et présage spécial au Siam, renfermait l'âme d'un prince défunt, et une foule de serviteurs étaient aux petits soins pour lui. Il ne buvait que dans une coupe d'or pur. Phaulkon informa ses visiteurs que le fermier qui avait découvert l'animal dans les forêts du Nord avait été exempté d'impôts pour le restant de ses jours ainsi que ses descendants pendant une génération.
Phaulkon accompagna l'ambassadeur et sa suite jusqu'à leurs demeures qui donnaient sur le Fleuve des Rois et suggéra qu'ils aimeraient peut-être se reposer avant le banquet donné en leur honneur ce soir-là. Desfarges et Cébéret, peu habitués à l'épreuve de la prosternation, acceptèrent de bon cœur, mais La Loubère demanda à avoir d'abord un entretien en privé avec Phaulkon. Ils se retirèrent dans un salon spacieux.
« Mon Seigneur Phaulkon », commença La Loubère dès qu'ils furent installés sur les chaises de style occidental spécialement fabriquées pour la délégation française, « j'aimerais vous demander pourquoi Sa Majesté n'a pas fait allusion aux questions religieuses dans son discours, d'autant plus que j'ai clairement évoqué le sujet dans le mien. Je crois avoir bien fait comprendre que c'était une question que le roi Louis prenait très à cœur.
— En effet, Excellence, je peux vous assurer que la question n'a pas échappé à Sa Majesté. Je vous demande cependant de prendre en considération le protocole du Siam. Ce n'est pas la coutume, au cours d'une audience officielle, en présence de tous les mandarins, d'aller au-delà des formalités et d'un échange général de politesses. Comme un homme doté de vos capacités d'observation l'aura remarqué, le Siam est strict en matière de protocole. Les questions d'une importance plus spécifique sont discutées en audiences privées qui sont prévues à une date ultérieure. Je serai ravi de vous en arranger une quand les délais convenables se seront écoulés.
— Très bien, seigneur Phaulkon, j'accepte vos explications pour le moment. Mais je vous serais reconnaissant de me faire rencontrer Sa Majesté au plus tôt. »
Phaulkon inclina la tête. « Je m'entretiendrai avec Sa Majesté et trouverai un calendrier adéquat. A propos de coutumes, Sa Majesté n'assistera pas au banquet solennel ce soir. Les difficultés de protocole seraient insurmontables. Personne ne pourrait avoir la tête au-dessus de celle de Sa Majesté, et l'étiquette ne lui permettrait pas d'adresser la parole à quelqu'un qu'il n'aurait pas d'abord anobli. »
La Loubère hocha la tête. « Je comprends. Dites-moi, mon Seigneur, les jésuites m'ont appris que Sa Majesté ne se sentait pas bien dernièrement, et que l'air de Louvo pourrait mieux lui convenir. Est-ce vrai ? »
Phaulkon rit. « Le Siam fourmille de rumeurs, Votre Excellence. L'attachement de Sa Majesté à Louvo est plus hédoniste que cela. Il adore chasser, voyez-vous, et les forêts autour de Louvo sont parmi les meilleures du pays.
— Le sanglier ?
— Non, Excellence, l'éléphant. L'objectif n'est pas de tuer mais d'attraper les bêtes puis de les dompter. C'est passionnant à regarder. Je suis sûr que Sa Majesté vous invitera à y assister très bientôt. Le noble éléphant est très révéré au Siam. Il est utilisé dans l'armée, travaille dans les forêts de teck et suscite de très gros revenus commerciaux dans le golfe. On le considère comme un animal d'une intelligence supérieure.
— Je dois parler à Cébéret de ce potentiel commercial, dit La Loubère. Ce sera certainement un nouveau produit pour lui. Il est fasciné par toutes les nouveautés dans son domaine. » Il fit une pause. « Mon souci principal est bien sûr d'exaucer le vœu suprême de mon suzerain, le roi Louis. Sa Majesté m'a conseillé avant mon départ de solliciter votre avis sur la meilleure façon d'obtenir la conversion de Sa Majesté siamoise à la foi catholique.
— Votre Excellence, je ne doute pas que votre objectif, qui ne diffère en rien du mien, finira par être atteint. Je dois cependant vous conseiller à mon tour de procéder avec prudence. Comme la plupart des souverains, Sa Majesté n'a pas l'habitude de se voir dicter sa
Weitere Kostenlose Bücher