L'envol du faucon
marchand, puis descendit rassembler les quelques effets que Yale lui avait donnés.
Le soleil déclinant illuminait les toits en chaume des étals et les vendeurs criaient leurs dernières offres de la journée quand Ivatt gravit l'étroit chemin sinueux qui montait à la spacieuse maison du maître du port. Il portait en bandoulière son modeste balluchon. Bientôt, quelque peu essoufflé, il atteignit le sommet de la colline. Il contempla, fasciné, la grande courbe des îles qui, tels des joyaux incrustés dans la mer turquoise, s'étendait jusqu'à l'horizon orangé. Çà et là, on voyait un nuage teinté de rose. Derrière lui, au sommet d'une autre colline élevée, se dressait une pagode bouddhiste dont le décor à la feuille d'or scintillait sous les derniers rayons du soleil.
Ivatt s'arrêta devant un haut portail et fit résonner un gong de bois attaché à l'un des poteaux. A travers une fente du treillis, il aperçut un Européen de haute taille émerger de la maison et traverser le jardin bien entretenu dans sa direction. L'herbe venait d'être coupée ; une tonnelle de bougainvillées et de fuchsias aux couleurs vives conduisait à la maison. Le portail s'ouvrit et un homme dégingandé, échevelé, l'observa de ses yeux d'un gris intense avec un mélange de curiosité et de suspicion. « Puis-je vous aider, monsieur ? » Remarquant le regard d'Ivatt, il passa nerveusement une main dans sa tignasse châtain. Ivatt ne connaissait pas cet homme, mais il avait le même genre d'accent que Yale.
« Je suis venu voir le seigneur White. Je m'appelle Thomas Ivatt. »
L'homme se raidit. « Ivatt ? Le seigneur Ivatt ? Votre nom m'est familier par les dépêches, mon Seigneur. » Il lança un regard plutôt étrange à Ivatt avant de s'incliner. « Francis Davenport à votre service, monsieur. Je suis le secrétaire du seigneur White. Voulez-vous me suivre, s'il vous plaît ? »
Davenport le conduisit jusqu'à la porte de la maison principale qui donnait sur une vaste antichambre meublée de chaises de bambou et d'une longue table en rotin. Des voix émanaient d'une pièce voisine.
« Le seigneur White a un visiteur, monsieur. Comme M. Yale vient d'arriver, je ne sais pas combien de temps cela va durer. Puis-je vous apporter des rafraîchissements en attendant ?
— M. Yale ? demanda Ivatt. De quel M. Yale s'agit-il ?
— De M. Thomas Yale, monsieur, le jeune frère du gouverneur du fort St George. Il revient juste d'Ayu-thia. Nous l'avons aussi reçu à l'aller, il y a environ un mois. »
Ivatt se souvint qu'Elihu Yale lui avait dit qu'il avait envoyé son frère à Ayuthia avec une importante cargaison de rubis commandés par Phaulkon pour Sa Majesté le roi. Thomas Yale s'en retournait sans doute à Madras.
« Le capitaine Coates serait-il par hasard à Mergui ? demanda Ivatt avec un air de ne pas y toucher. J'ai des messages pour lui de la part d'amis de l'autre côté du golfe. »
Davenport hésita. « Euh, je crois bien, monsieur. Je suis sûr que le seigneur White pourra vous en dire plus. » Il se dandinait d'un pied sur l'autre comme si le sujet était en quelque sorte malsain. « Voudriez-vous du thé, monsieur ? Ou peut-être quelque chose de plus fort ?
— Je prendrai volontiers du thé, merci. »
Davenport s'inclina et quitta la pièce. Ivatt s'assit
sur une des chaises en bambou et contempla le mur devant lui, orné de dessins de bateaux dans de simples cadres en bois. Sans doute les bateaux de la flotte royale siamoise sous le commandement du Shahbandar, songea-t-il. Des voix lui parvinrent à nouveau. Elles semblaient filtrer de l'autre côté du mur où étaient accrochés les dessins. De temps en temps, une phrase était audible.
« Des rubis de qualité inférieure ? » C'était la voix de White, exprimant la surprise. Ivatt tendit l'oreille pour saisir le reste, mais la réponse fut indistincte. Il y eut un long marmonnement, puis :
« Ça, c'est trop fort ! Allez-vous rembourser l'argent ? » C'était de nouveau la voix de White. Elle semblait mieux porter que celle de son visiteur.
Ivatt traversa la pièce à pas de loup pour écouter.
« Le seigneur Phaulkon... chaque penny rendu... les rubis... étaient avec moi. » C'était la voix de Yale cette fois. Ivatt reconnut les mêmes intonations chantantes que celles de son frère Elihu.
Ivatt jeta un coup d'oeil à la porte. Aucun signe de Davenport, ni de son thé. Il colla son oreille contre le mur pour saisir les
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