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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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monarques vont parfois
trop loin, sinon ils ne tomberaient jamais. »
    Avant d’ajouter, les yeux pétillants :
    « La folie des princes est la sagesse du
Destin. »
    Je croyais avoir compris :
    « C’est bientôt l’insurrection, n’est-ce
pas ?
    — Ce mot n’est pas de chez nous. Il est vrai
qu’en temps d’épidémie les gens des rues se montrent courageux, la puissance du
sultan paraissant bien frêle face à celle du Très-Haut qui fauche les
militaires par régiments entiers. Mais dans les maisons il n’y a pas la moindre
arme, à peine quelque couteau pour couper le fromage. Quand vient l’heure des
bouleversements, c’est toujours un mamelouk circassien qui en remplace un
autre. »
    Avant de repartir, le commerçant me fit une
proposition inattendue que j’acceptai avec gratitude, bien que je n’en eusse
pas, sur le moment, mesuré toute la générosité.
    « Je vais m’installer quelques mois à
Assyout, ma ville natale, et je ne voudrais pas que ma maison du Caire reste
aussi longtemps abandonnée. Je serais honoré si tu pouvais y habiter en mon
absence. »
    Comme j’esquissais un double mouvement de
remerciement et de refus, il me prit par le poignet :
    « Ce n’est pas une faveur que je te fais,
noble voyageur, car, si ma maison demeurait sans maître, elle serait la proie
des pillards, surtout en ces temps difficiles. En acceptant, tu m’obligerais et
tu résoudrais un problème qui me préoccupe. »
    Dans ces conditions, je ne pouvais qu’acquiescer.
Il poursuivit, du ton confiant d’un homme qui a longtemps mûri sa
décision :
    « Je vais te rédiger un acte certifiant que
tu peux jouir de ma propriété jusqu’à mon retour. »
    Il alla prendre dans sa barque papier, calame et
encrier, puis il revint s’accroupir à mes côtés. Tout en écrivant, il s’enquérait
de mon nom, de mes surnoms, de ma qualité, en parut satisfait et me remit, en
même temps que le document, un trousseau de clefs dont il m’indiqua la
répartition. Enfin il m’expliqua, en termes précis, où retrouver la maison et
comment la reconnaître.
    « C’est une bâtisse blanche, entourée de
palmiers et de sycomores. Elle se trouve sur une petite élévation, à l’extrême
nord de la vieille ville, directement sur le Nil. J’y ai laissé un jardinier
qui sera à ton service. »
    Je n’en étais que plus impatient d’arriver à destination.
Je demandai à mon interlocuteur quand on pourrait espérer la fin de la peste.
    « Les épidémies précédentes se sont toutes
terminées avant le début de mésori. »
    Je le priai de répéter ce dernier mot, que je
croyais avoir mal entendu. Il eut un sourire bienveillant.
    « Mésori est, dans l’année copte, le
mois où culmine la crue des eaux. »
    Je murmurai :
    « L’Égypte a bien du mérite d’être musulmane
quand le Nil et la peste suivent encore le calendrier des pharaons. »
    À sa manière de baisser les yeux, à son sourire
confus, je compris que lui-même n’était pas musulman. Il s’affaira
aussitôt :
    « Il se fait tard. Je crois que nous devrions
hisser les voiles. »
    S’adressant à l’un de ses enfants, qui tournait
inlassablement autour d’un palmier, il cria :
    « Sesostris, remonte dans la barque, nous
partons ! »
    Il me serra une dernière fois la main, non sans
ajouter sur un ton embarrassé :
    « Il y a dans la maison une croix et une
icône. Si elles t’offensent, tu peux les décrocher et les ranger dans un coffre
jusqu’à mon retour. »
    Je lui promis qu’au contraire rien ne serait
déplacé et le remerciai pour son extrême attention.
    Pendant que je conversais avec ce copte, les
mariniers s’étaient mis à l’écart, gesticulant avec animation. Dès que mon
bienfaiteur se fut éloigné, ils vinrent m’annoncer, sur un ton solennel, leur
décision de partir dès le lendemain pour la capitale. Ils n’ignoraient pas,
bien qu’ils fussent tous musulmans, que la peste ne disparaîtrait pas avant mésori. Mais d’autres raisons les poussaient.
    « L’homme a dit que le prix des denrées a
subitement augmenté. C’est le moment d’aller au vieux port, de vendre notre
cargaison et de rentrer enfin chez nous. »
    Je ne songeai pas à protester. J’étais moi-même
comme un amant las de dormir nuit après nuit à quelques brasses de l’objet de
ses désirs.
     
    *
     
    Enfin Le Caire !
    Dans nulle autre cité on n’oublie aussi vite qu’on
est étranger. À peine

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