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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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mon
arrivée, j’étais accoudé à la même fenêtre, humant l’air du dehors pour y
retrouver l’ambre gris qui l’avait jadis parfumé, guettant les rythmes de l’orchestre
noir qui, je n’en doutais pas, allaient bientôt retentir dans la rue. Alors je
me retournerais vers le milieu de la pièce, et je reverrais danser l’ombre de
ma Hiba. Un vent puissant souleva la tenture, qui se mit à voltiger et à
tournoyer avec grâce.
    À l’extérieur, des bruits de pas, quelques cris
qui se rapprochaient. L’orchestre de mes souvenirs, peut-être ? Mais
pourquoi était-il porté par un tel vacarme ? Ma perplexité fut,
hélas ! de courte durée : la place du marché s’était animée soudain
comme en plein jour, envahie par une foule démente et bigarrée qui emplissait
le ciel de ses hurlements. Comment ne pas être gagné par la peur ? De ma
fenêtre, j’appelai un vieillard qui courait plus lentement que les autres. Il s’arrêta
et me débita dans la langue du pays quelques mots haletants. Voyant que je n’avais
rien compris, il reprit sa course, me faisant signe de le suivre. J’hésitais
encore à le faire quand je vis, dans le ciel, les premières lueurs de l’incendie.
M’assurant que mon or était bien sur moi, je sautai par la fenêtre et détalai.
    Je ne passai pas moins de trois heures à errer
ainsi, me pliant aux humeurs de la foule affolée et recueillant, par les gestes
plus souvent que par les mots, des nouvelles du sinistre. Plus de la moitié de
Tombouctou avait brûlé, et rien ne semblait en mesure d’empêcher le feu, attisé
par le vent, de se propager à travers les innombrables cabanes à toit de
paille, dangereusement proches les unes des autres. Il fallait que je m’éloigne
au plus vite de ce gigantesque brasier.
    J’avais entendu, la veille, qu’une caravane de
marchands de toute origine était rassemblée à l’extérieur de la ville, prête à
partir dès l’aube. Je la rejoignis. Nous fûmes une quarantaine de voyageurs à
passer la nuit entière debout sur un monticule, fascinés par le spectacle du
feu et par l’effroyable clameur qui montait avec les flammes, clameur dans
laquelle nous avions fini par distinguer les horribles hurlements des brûlés.
    Plus jamais je ne pourrai me rappeler Tombouctou
sans que me revienne cette image d’enfer. À l’heure du départ, un nuage de
deuil voilait son visage, et son corps était torturé par d’innombrables
crépitements. Mon plus beau souvenir achevait de se consumer.
     
    *
     
    Quand nos anciens géographes parlaient du pays des
Noirs, ils ne mentionnaient que le Ghana et les oasis du désert de Libye. Puis
sont arrivés les conquérants à la face voilée, les prédicateurs, les marchands.
Et moi-même, qui ne suis que le dernier des voyageurs, je connais le nom de
soixante royaumes noirs dont quinze que j’ai traversés l’un après l’autre cette
année-là, du Niger au Nil. Certains n’ont jamais figuré dans aucun livre, mais
je mentirais si je m’attribuais leur découverte puisque je n’ai fait que suivre
la route habituelle des caravanes qui partent de Djenné, du Mali, d’Oualata ou
de Tombouctou vers Le Caire.
    Il ne nous fallut pas plus de douze jours pour
atteindre, en longeant le Niger, la ville de Gao. Elle n’avait pas de mur d’enceinte,
mais aucun ennemi n’osait s’en approcher, tant était grande la renommée de son
souverain, l’Askia Mohamed, l’homme le plus puissant de tout le pays des Noirs.
Les négociants de la caravane n’étaient pas peu contents de s’y arrêter. Ils m’expliquèrent
que les habitants de Gao possédaient tant d’or que le plus médiocre tissu d’Europe
ou de Berbérie pouvait s’y vendre quinze à vingt fois sa valeur. En revanche,
la viande, le pain, le riz et les courges se trouvaient en si grande abondance
qu’on pouvait les obtenir au plus vil prix.
    Les étapes suivantes nous firent traverser
plusieurs royaumes, parmi lesquels je mentionnerai ceux d’Ouangara, de Zegzeg,
de Cano, ainsi que celui de Bornou, bien plus important que les précédents,
mais où nous évitâmes de nous attarder. En effet, dès notre entrée dans la
capitale, nous rencontrâmes un autre groupe de marchands étrangers qui se
dépêchèrent de nous conter leurs malheurs, ainsi que je le rapporte dans ma Description de l’Afrique. Le souverain de ce pays avait de fort curieuses
habitudes. Il éprouvait un tel plaisir à faire étalage de sa richesse que tout
le

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