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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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harnachement de ses chevaux était en or, ainsi que toute la vaisselle de son
palais. Les chaînes qui attachaient ses chiens étaient elles-mêmes toutes d’or
fin, je l’ai vérifié de mes propres yeux ! Attirés par tant de luxe, et
confondant, pour leur malheur, générosité et ostentation, ces marchands étaient
donc venus, de Fès, du Sous, de Gênes et de Naples, avec des épées ciselées et
incrustées de joyaux, des tapisseries, des pur-sang et toutes sortes de
marchandises précieuses.
    « Le roi s’en est montré ravi, me raconta l’un
de ces malheureux. Il a tout acquis séance tenante sans même discuter le prix.
Nous étions comblés. Depuis, nous attendons d’être payés. Cela fait plus d’un
an que nous sommes au Bornou, que chaque jour nous allons nous lamenter au
palais. On nous y répond par des promesses, et quand nous nous montrons
insistants, on nous y répond par des menaces. »
    Tel n’était pas le comportement du souverain que
nous visitâmes ensuite, le maître de Gaoga. Je me trouvais dans son palais pour
lui présenter mes hommages lorsqu’un négociant égyptien, de la ville de
Damiette, vint offrir à ce roi un très beau cheval, un sabre turc, une chemise
de mailles, une escopette, plusieurs miroirs, des chapelets de corail et
quelques couteaux ciselés, le tout valant une cinquantaine de dinars. Le
souverain accepta aimablement ce cadeau, mais, en retour, il donna à cet homme
cinq esclaves, cinq chameaux, une centaine d’énormes défenses d’éléphants, et,
comme si cela ne suffisait pas, il y ajouta l’équivalent de cinq cents dinars d’or
dans la monnaie de son pays.
    En quittant ce prince si généreux, nous
atteignîmes le royaume de Nubie, où se trouve la grande ville de Dongola,
située au bord du Nil. Je comptais y louer une barque pour me rendre au Caire,
mais on m’apprit que le fleuve n’était pas navigable en cet endroit, et qu’il
fallait longer la rive jusqu’à Assouan.
    Le jour même de mon arrivée dans cette ville, un
marinier me proposa de me prendre sur sa « djerme ». Dans cette
embarcation plate, il transportait déjà une grande quantité de grains et de
bétail, mais il pouvait encore, promettait-il, me dégager une place tout à fait
confortable.
    Avant d’y monter, je m’étendis à plat ventre sur
la rive et plongeai longuement mon visage dans l’eau du Nil. Au moment de me
relever, j’eus la certitude qu’après la tempête qui avait dévasté ma fortune
une vie nouvelle m’était offerte en ce pays d’Égypte, une vie faite de
passions, de dangers et d’honneurs.
    J’avais hâte de m’en emparer.

III

LE LIVRE DU CAIRE

 
     
     
     
     
    Quand je suis arrivé au Caire, mon fils, elle
était depuis des siècles déjà la prestigieuse capitale d’un empire, et le siège
d’un califat. Quand je l’ai quittée, elle n’était plus qu’un chef-lieu de
province. Jamais, sans doute, elle ne retrouvera sa gloire passée.
    Dieu a voulu que je sois témoin de cette
déchéance, ainsi que des fléaux qui l’ont précédée. Je voguais encore sur le
Nil, rêvant d’aventures et de joyeuses conquêtes, lorsque le malheur est venu s’annoncer.
Mais je n’avais pas encore appris à le respecter, ni à déchiffrer ses messages.
    Étendu paresseusement dans la vaste djerme, la
tête légèrement relevée sur une traverse de bois, bercé par le bavardage des
mariniers qui se fondait avec harmonie dans le clapotement de l’eau, j’observais
le soleil, déjà rougeâtre, qui allait disparaître dans trois heures sur la rive
africaine.
    « Demain à l’aube, nous serons à
Misr-la-Vieille », me cria un nègre de l’équipage.
    Je lui répondis par un sourire aussi étalé que le
sien. Désormais, plus aucun obstacle ne me séparait du Caire. Je n’avais plus
qu’à me laisser porter par l’écoulement inexorable du temps et du Nil.
    J’étais sur le point de m’assoupir lorsque les
voix des mariniers s’élevèrent, leur conversation s’anima. Me redressant, je
vis une djerme qui remontait le fleuve et arrivait tout juste à notre hauteur.
Il me fallut un long moment pour discerner ce qu’il y avait d’étrange dans
cette embarcation que je n’avais pas vue approcher. De belles femmes, richement
habillées, y étaient entassées avec leurs enfants, l’air ahuri, au milieu de
centaines de moutons dont l’odeur parvenait jusqu’à moi. Certaines portaient
sur le front des bijoux en guirlandes, et sur la

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