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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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cette indication, je
poursuivis :
    « Est-ce là que nous allons ?
    — Précisément.
    — Est-ce pour voir ces bâtisses rondes que tu
viens chaque semaine jusqu’ici ? »
    Elle fut prise d’un rire franc et dévastateur dont
je ne pus que me sentir offusqué. Pour bien marquer ma désapprobation, je mis
pied à terre et entravai mon chameau. Elle ne tarda pas à revenir vers moi.
    « Excuse-moi d’avoir ri. C’est parce que tu
as dit qu’elles sont rondes.
    — Je ne l’ai pas inventé. Ibn-Batouta, le
grand voyageur, dit textuellement que les pyramides « sont d’une forme
circulaire ».
    — C’est qu’il ne les a jamais vues. Ou alors
de très loin, et de nuit, Dieu lui pardonne ! Mais ne le blâme pas. Quand
un voyageur raconte ses exploits, il devient prisonnier des gloussements
admiratifs de ceux qui l’écoutent. Il n’ose plus dire « je ne sais
pas » ou « je n’ai pas vu », de peur de perdre la face. Il est
des mensonges pour lesquels les oreilles sont plus fautives que la bouche.
    Nous avions repris notre progression. Elle
enchaîna :
    « Et que dit-il d’autre, cet Ibn-Batouta, sur
les pyramides ?
    — Qu’elles ont été construites par un savant
très au fait des mouvements des astres, et qui avait prévu le Déluge ; c’est
pourquoi il aurait construit ces pyramides, sur lesquelles il a représenté tous
les arts et toutes les sciences, afin de les préserver de la destruction et de
l’oubli. »
    Craignant d’autres sarcasmes, je m’empressai d’ajouter :
    « De toute manière, Ibn-Batouta précise que
ce ne sont que des suppositions et que personne ne sait vraiment à quoi étaient
destinées ces curieuses constructions.
    — Pour moi, les pyramides n’ont été bâties
que pour être belles et majestueuses, pour être la première des merveilles du
monde. Sans doute leur avait-on également assigné quelque fonction, mais ce n’était
qu’un prétexte fourni par le prince de ce temps-là. »
    Nous venions d’atteindre le sommet d’une colline
et les pyramides se détachaient clairement à l’horizon. Elle retint sa monture
et tendit la main vers l’orient, d’un geste si ému qu’il en devenait solennel.
    « Longtemps après que nos maisons, nos palais
et nous-mêmes aurons disparu, ces pyramides seront encore là. Cela ne
signifie-t-il pas qu’aux yeux de l’Éternel ce sont elles les plus
utiles ? »
    Je posai ma main sur la sienne.
    « Pour l’instant, nous sommes vivants. Et
ensemble. Et seuls tous les deux. »
    Promenant son regard alentour, elle prit soudain
un ton espiègle :
    « Mais c’est vrai que nous sommes
seuls ! »
    Elle colla sa monture à la mienne et, écartant son
voile, posa un baiser sur mes lèvres. Dieu, je serais resté ainsi jusqu’au jour
du Jugement !
    Ce n’est pas moi qui ai quitté ses lèvres ;
ce n’est pas elle non plus qui s’est séparée de moi. La faute en fut à nos
chameaux qui s’éloignèrent trop tôt l’un de l’autre, menaçant de nous
déséquilibrer. « Il se fait tard. Si nous allions nous reposer ?
    — Sur les pyramides ?
    — Non, un peu plus loin. Il y a, à quelques
milles d’ici, un petit village où habite la gouvernante qui m’a élevée. Elle m’attend
tous les lundis soir. »
    Un peu en marge du village se trouvait une masure
de fellah, baignant dans la boue, à l’extrémité d’un petit sentier élevé que
Nour emprunta en me conjurant de ne pas la suivre. Elle disparut dans l’habitation.
Je l’attendis, adossé à un palmier. Il faisait presque sombre quand elle
revint, accompagnée d’une vieille paysanne grasse et débonnaire.
    « Khadra, je te présente mon nouveau
mari. »
    Je sursautai. Mes yeux écarquillés rencontrèrent
chez Nour un froncement de sourcil, tandis que la gouvernante implorait le
Ciel :
    « Veuve à dix-huit ans ! J’espère que ma
princesse aura plus de chance cette fois.
    — Je l’espère aussi ! » criai-je
spontanément.
    Nour sourit et Khadra balbutia une invocation,
avant de nous conduire vers une bâtisse en terre, proche de la sienne, et
encore plus exiguë.
    « Ce n’est pas un palais, ici, mais vous
serez au sec et personne ne vous réveillera. Si vous avez besoin de moi,
appelez-moi par la fenêtre. »
    Il n’y avait qu’une pièce rectangulaire, éclairée
par une bougie vacillante. Une légère odeur d’encens flottait autour de nous.
De la fenêtre sans battants nous parvenait un long

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