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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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bout de leurs dinars, de peur qu’on ne les accuse de cacher quelque richesse
et qu’on ne vienne la leur extorquer. La semaine dernière, une chanteuse a été
arrêtée sur simple dénonciation. Le sultan en personne l’a soumise à la
question pendant que les gardes lui comprimaient les pieds. On lui a soutiré en
tout cent cinquante pièces d’or. »
    Il se reprit :
    « Notez bien que je comprends parfaitement
pourquoi notre souverain, Dieu le protège ! est contraint d’agir de la
sorte. Ce sont les revenus des ports qui lui font défaut. Djeddah n’a pas reçu
un bateau depuis un an à cause des corsaires portugais. La situation n’est
guère meilleure à Damiette. Quant à Alexandrie, elle est désertée par les
négociants italiens qui ne trouvent plus aucune affaire à y traiter. Dire que
cette ville avait, par le passé, six cent mille habitants, douze mille épiciers
ouverts jusqu’à la nuit et quarante mille juifs payant la jizia légale !
Aujourd’hui, c’est un fait, Alexandrie rapporte au Trésor moins qu’elle ne lui
coûte. Le résultat, nous l’observons chaque jour : l’armée n’a pas eu de
viande depuis sept mois, les régiments sont en ébullition, et le sultan cherche
l’or là où il croit le trouver. »
    L’entrée d’un client interrompit son discours.
Voyant que le nouveau venu ne portait aucun objet dans les mains, Akbar se dit
sans doute qu’il s’agissait d’un acheteur et nous demanda de l’excuser un
moment. La princesse s’apprêtait à partir, mais je la retins :
    « Combien espérais-tu obtenir ?
    — Trois cents dinars, pas moins. »
    Je lui demandai de me montrer la tapisserie. Ma
décision était prise mais je ne pouvais l’acquérir sans la regarder, de peur
que l’achat n’apparaisse comme une aumône. Je ne voulais pas non plus l’examiner
de trop près, de peur de laisser croire que je cherchais à réaliser une
affaire. Je lançai donc un regard furtif, avant de déclarer, sur un ton
neutre :
    « Trois cents, cela me semble un bon prix. J’achète. »
    Elle ne s’y trompa pas :
    « Une femme n’accepte pas de cadeau d’un
homme auquel elle ne peut montrer sa reconnaissance. »
    Les mots étaient fermes, mais le ton l’était
moins. Je répondis, faussement outré :
    « Ce n’est pas un cadeau. J’achète cet objet
parce que j’y tiens !
    — Et pourquoi y tiendrais-tu ?
    — C’est un souvenir.
    — Mais c’est la première fois que tu le
vois !
    — Parfois il suffit d’un aperçu pour qu’un
objet devienne irremplaçable. »
    Elle rougit. Nos regards ce croisèrent. Nos lèvres
s’entrouvrirent. Nous étions déjà amis. La servante, plus joviale que jamais,
circulait entre nous, attentive à recueillir nos chuchotements. Rendez-vous
était pris : vendredi, à midi, place de l’Ezbékieh, devant le montreur d’ânes.
     
    *
     
    Depuis mon arrivée en Égypte, je n’avais jamais
manqué la prière solennelle du vendredi. Mais, ce jour-là, je le fis sans trop
de remords ; après tout, c’est le Créateur qui avait fait cette femme si
belle, et c’est Lui qui l’avait mise sur mon chemin.
    La place de l’Ezbékieh s’emplissait lentement à
mesure que les mosquées se vidaient, car c’était l’habitude de tous les
Cairotes de s’y rassembler après la cérémonie pour jouer aux dés, écouter les
boniments des conteurs, se perdre parfois en fin d’après-midi dans les ruelles
avoisinantes où certaines tavernes proposaient un raccourci pour l’Éden.
    Je ne voyais pas encore ma Circassienne mais le
montreur d’ânes était là, déjà entouré d’une grappe grossissante de badauds. Je
me joignis à eux, tout en jetant des coups d’œil fréquents sur les visages qui
m’entouraient, sur le soleil dans l’espoir qu’il ait bougé de quelques degrés.
    Le bateleur dansait avec sa bête, sans que l’on
sût lequel imitait les pas de l’autre. Puis il se mit à parler à son âne. Il
lui annonça que le sultan avait décidé d’entreprendre une grande construction
et qu’il fallait réquisitionner tous les ânes du Caire pour transporter la
chaux et les pierres. À l’instant, l’animal se laissa tomber à terre, se
retourna sur le dos, les pattes en l’air, gonfla le ventre et ferma les yeux. L’homme
se lamenta alors devant l’assistance, disant que son âne était mort, et il fit
la quête pour en acheter un autre. Ayant ramassé quelques dizaines de pièces,
il dit :
    « Ne

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