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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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croyez pas que mon âne ait rendu l’âme.
C’est un glouton qui, connaissant ma pauvreté, joue la comédie pour que je
gagne un peu d’argent et que je lui achète à manger. »
    Prenant un gros bâton, il administra à la bête une
bonne volée. « Allons, lève-toi maintenant ! » Mais l’âne ne
bougea pas. Le bateleur poursuivit :
    « Habitants du Caire, le sultan vient de
promulguer un édit : toute la population devra sortir demain pour assister
à son entrée triomphale dans la ville. Les ânes sont réquisitionnés pour porter
les dames de la haute société. »
    Là-dessus, l’animal bondit sur ses pieds, se mit à
faire le fier, paraissant tout joyeux. Son maître riait aux éclats tout comme
la foule.
    « Ainsi, dit-il, tu aimes les jolies
femmes ! Mais il y en a plusieurs ici ! Laquelle aimerais-tu
porter ? »
    La bête fit le tour de l’assistance, eut l’air d’hésiter,
puis se dirigea droit vers une spectatrice de grande taille qui se tenait à
quelques pas de moi. Elle portait des voiles si épais que son visage était
invisible. Mais je reconnus tout de suite son allure. Elle-même, effarouchée
par les rires et les regards, s’approcha de moi et s’agrippa à mon bras. Je me
dépêchai de lancer à l’adresse de l’âne, sur un ton badin : « Non, tu
ne porteras pas ma femme ! » avant de m’éloigner dignement avec elle.
    « Je ne m’attendais pas à te voir voilée.
Sans l’âne, je ne t’aurais pas reconnue.
    — C’est bien pour ne pas être reconnue que je
suis voilée. Nous sommes ensemble, dans la rue, au milieu d’une foule curieuse
et bavarde, et nul ne se rend compte que je ne suis pas ta femme. »
    Et d’ajouter, taquine :
    « J’enlève le voile si je veux plaire à tous
les hommes ; je le porte si je ne veux plaire qu’à un seul.
    — Désormais, je détesterai que ton visage
soit découvert.
    — Ne voudras-tu jamais le
contempler ? »
    Il est vrai que nous ne pouvions être seuls dans
une maison, ni la sienne ni la mienne, et que nous devions nous contenter de
parcourir la ville côte à côte. Le jour du premier rendez-vous, Nour insista
pour que nous allions visiter le jardin interdit.
    « On lui donne ce nom, m’expliqua-t-elle,
parce qu’il est entouré de hautes murailles et que le sultan en a prohibé l’accès
afin de protéger une merveille de la nature : l’unique arbre au monde qui
produit le vrai baume. »
    Une pièce d’argent dans la main du gardien nous
permit d’y pénétrer. Penchée au-dessus du balsamier, Nour écarta son voile et
demeura un long moment immobile, fascinée, rêveuse. Elle répéta, comme à
elle-même :
    « Dans le monde entier, il n’existe que ce
pied-là. Il est si menu, si fragile, et pourtant si précieux ! »
    À mes yeux, l’arbre paraissait bien ordinaire. Ses
feuilles ressemblaient à celles de la vigne, en plus petites. Il était planté
en plein milieu d’une source.
    « On dit que si on l’arrosait avec une eau
différente il se dessécherait immédiatement. »
    Elle me sembla émue de cette visite, sans que j’en
comprisse la raison. Mais dès le lendemain nous étions à nouveau ensemble, et
elle me parut joviale et attentionnée. Désormais, nos promenades furent
quotidiennes, ou presque, car au milieu de la semaine, le lundi et le mardi,
elle n’était jamais libre. Quand, au bout d’un mois, je le lui fis observer, sa
réaction fut vive :
    « Tu aurais pu ne jamais me voir, ou
seulement une fois par mois. Maintenant que je suis avec toi deux, trois, cinq
jours par semaine, tu me reproches mes absences.
    — Je ne compte pas les jours où je te vois.
Ce sont les autres qui me paraissent interminables. »
    C’était un dimanche, et nous nous trouvions près
de la mosquée d’Ibn Touloun, devant le hammam des femmes où Nour s’apprêtait à
entrer. Elle avait l’air d’hésiter.
    « Serais-tu prêt à m’accompagner, sans poser
la moindre question ?
    — Jusqu’en Chine, s’il le faut !
    — Alors retrouve-moi demain matin, avec deux
chameaux et des outres pleines, devant la Grande Mosquée de Guizeh. »
     
    *
     
    Décidé à tenir ma promesse, je ne l’interrogeai
pas sur notre destination, si bien qu’au bout de deux heures de route nous n’avions
échangé que quelques mots. Je ne jugeai toutefois pas contraire à notre accord
de remarquer :
    « Les pyramides ne doivent pas être loin d’ici.
    — Précisément ! »
    Encouragé par

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