Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
Vom Netzwerk:
détenus, tous
montés, tous enveloppés de lourds manteaux de laine, entourés d’un millier de
soldats à pied et à cheval, qui n’usaient à leur égard d’aucune brutalité, même
verbale, se contentant de les entourer pour les empêcher de s’éloigner. Puis l’immense
troupe s’ébranla en silence, un cavalier voilé en tête, les soldats en file sur
les côtés. Elle passa devant la porte des Sept Étages, longea les remparts,
sortit de la ville par la porte de Najd pour atteindre le Genil, dont la
surface était gelée. C’est dans un champ de cerisiers, au bord de la rivière,
que la caravane silencieuse et tremblante fit halte pour la première fois.
    Il faisait clair déjà, mais l’on distinguait
encore dans le ciel le fin croissant du mois nouveau. L’homme voilé se
découvrit le visage et appela vers lui une douzaine de hauts dignitaires
choisis parmi les détenus. Nul ne fut surpris que ce soit al-Mulih. Il commença
par leur demander de ne pas s’inquiéter et s’excusa de ne pas leur avoir fourni
des explications plus tôt.
    « Il fallait que nous sortions de la ville
pour éviter tout incident, toute réaction inconsidérée. Ferdinand a demandé que
cinq cents notables appartenant aux grandes familles grenadines lui soient
laissés en otages pour qu’il puisse introduire ses troupes dans la ville sans
craindre de piège. Nous aussi avons intérêt à ce que la capitulation se passe
sans la moindre violence. Rassurez les autres, dites-leur qu’ils seront bien
traités et que tout se passera très vite. »
    L’information fut communiquée à tous sans
provoquer d’autre réaction que quelques murmures sans conséquence, car la
plupart ressentaient de la fierté d’avoir été choisis ainsi qu’une certaine
sécurité à ne pas se trouver dans la ville quand elle serait envahie, ce qui
compensait largement la gêne d’une captivité provisoire. D’autres, comme mon
père, auraient préféré se trouver auprès de leurs femmes et de leurs enfants au
moment difficile, mais ils savaient qu’ils ne pourraient rien pour eux, et que
la volonté du Tout-Puissant devait s’accomplir jusqu’au bout.
    La pause ne se prolongea pas au-delà d’une
demi-heure, puis on repartit vers l’ouest, sans jamais s’éloigner du Genil à
plus d’un jet de pierre. Bientôt une troupe de Castillans apparut à l’horizon
et, quand elle arriva à notre hauteur, son chef discuta à l’écart avec
al-Mulih, puis, sur ordre de celui-ci, les soldats grenadins tournèrent bride
et revinrent au trot vers la ville alors que les cavaliers de Ferdinand
prenaient leur place tout autour des otages. Dans le ciel, le croissant était
maintenant invisible. La marche reprit, encore plus silencieuse, encore plus
accablée, jusqu’aux murailles de Santa Fe.
    « Elle est étrange, leur ville nouvelle
construite avec nos vieilles pierres », songeait Mohamed en pénétrant dans
ce campement si souvent observé de loin avec frayeur et curiosité. Il y régnait
un branle-bas annonciateur des grandes attaques, les soldats de Ferdinand s’apprêtaient
ostensiblement à engager le dernier combat, ou plutôt à abattre la ville aux
abois comme on achevait dans les arènes de Grenade le taureau déchiré de tous
côtés par une meute de chiens.
    Le soir même du 1 er  janvier 1492,
le vizir, qui était resté auprès des otages, reprit le chemin de Grenade,
accompagné cette fois de plusieurs officiers chrétiens qu’il devait introduire
dans la cité conformément aux accords. Ils y pénétrèrent de nuit, par la route
qu’avaient empruntée mon père et ses compagnons de captivité, ce qui avait l’avantage
de ne pas éveiller trop tôt les soupçons des gens de la ville. Le lendemain
matin, ils se présentaient à la tour de Comares, où Boabdil leur livra les
clefs de la forteresse. Bientôt arrivèrent, toujours par le même chemin dérobé,
quelques centaines de soldats castillans qui s’assurèrent des remparts. Un
évêque hissa une croix sur la tour du guet, et les soldats l’acclamèrent en
criant trois fois « Castille », « Castille »,
« Castille », ce qui était pour eux la coutume quand ils s’emparaient
d’une place. En entendant ces cris, les Grenadins comprirent que l’irréparable
était déjà arrivé, et, stupéfaits qu’un événement si considérable se soit
produit avec si peu de fracas, ils se mirent à prier et à psalmodier, les yeux
embués et les genoux amollis.
    À

Weitere Kostenlose Bücher