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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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Car en négociant, comme il nous l’avait longuement expliqué, le salut
des veuves et des orphelins de Grenade, cet homme ne s’était pas oublié
lui-même : il avait obtenu de Ferdinand, pour prix de la capitulation qu’il
avait si habilement hâtée, vingt mille castillans d’or, soit près de dix mille
milliers de maravédis, ainsi que de vastes terres. D’autres dignitaires du
régime s’accommodèrent également sans mal de la domination des Roum, qui se
montraient conciliants aux premiers temps de la victoire. »
    De fait, la vie reprit tout de suite dans Grenade
occupée, comme si Ferdinand voulait éviter que les musulmans ne partent en
masse vers l’exil. Les otages revinrent à leurs familles le lendemain même de l’entrée
du roi et de la reine dans la ville, et mon père nous raconta qu’il avait été
traité avec plus d’égards que s’il avait été un hôte princier. À Santa Fe, ses
compagnons et lui n’étaient pas confinés à une prison ; ils pouvaient
aller au marché et se promener parfois en petits groupes de par les rues,
accompagnés cependant de gardes chargés tout à la fois de les surveiller et de
les protéger contre les fureurs de quelque soldat ivre ou excité. C’est au
cours d’une de ces balades qu’on montra à mon père, à la porte d’une taverne,
un marin génois dont tout Santa Fe parlait et se distrayait. On l’appelait
« Cristobal Colón ». Il voulait, disait-il, armer des caravelles pour
rejoindre les Indes par l’ouest, la terre étant ronde, et il ne cachait pas son
espoir d’obtenir pour cette expédition une partie du trésor de l’Alhambra. Il
se trouvait là depuis des semaines, insistant pour rencontrer le roi ou la
reine qui l’évitaient, bien qu’il leur fût recommandé par de hauts personnages.
En attendant d’être reçu, il leur adressait sans arrêt messages et suppliques,
ce qui, en ces temps de guerre, ne manquait pas de les importuner. Mohamed ne
revit plus jamais ce Génois, mais moi-même j’eus souvent l’occasion d’en
entendre parler.
    Quelques jours après le retour de mon père, le duc
Yahya le convoqua pour lui demander de reprendre sa fonction de peseur, car,
lui dit-il, les denrées vont bientôt revenir sur le marché en abondance, et il
faudra veiller à ce que toute fraude soit réprimée. D’abord révulsé par la
seule vue du renégat, mon père finit par collaborer avec lui comme avec tout
autre chef de la police, non sans marmonner cependant de temps à autre quelque
imprécation lorsqu’il se souvenait de l’espoir que cet homme avait représenté
jadis pour les musulmans. La présence de Yahya n’était d’ailleurs pas sans
rassurer les notables de la ville, qui pour certains le connaissaient bien, les
uns et les autres se mettant à le fréquenter bien plus assidûment qu’au temps
où il était le rival malheureux de Boabdil.
    « Soucieux de tranquilliser les vaincus sur
leur sort, Ferdinand, se rappelait mon père, se rendit souvent lui-même à
Grenade pour vérifier que ses hommes respectaient les engagements pris.
Extrêmement inquiet pour sa personne les premiers jours, le roi finit par se
déplacer régulièrement dans la cité, visitant le marché, sous bonne escorte s’entend,
inspectant les vieilles murailles. Il est vrai qu’il évita encore pendant des
mois de passer la nuit dans notre ville, préférant revenir à Santa Fe avant le
coucher du soleil, mais sa méfiance, au demeurant bien compréhensible, ne s’accompagnait
alors d’aucune mesure inique ou discriminatoire, d’aucune violation du traité
de capitulation. La sollicitude de Ferdinand, sincère ou affectée, était telle
que les chrétiens qui visitaient Grenade disaient aux musulmans :
« Vous êtes maintenant plus chers au cœur de notre souverain que nous ne l’avons
jamais été nous-mêmes. » Certains allaient jusqu’à dire, par une extrême
malveillance, que les Maures avaient ensorcelé le roi afin qu’il empêche les
chrétiens de leur enlever leurs biens.
    « Nos souffrances, soupira Mohamed, allaient
bientôt nous innocenter, et nous rappeler que, même libres, nous étions
désormais enchaînés à notre humiliation. Toutefois, dans les mois qui suivirent
la chute de Grenade – Dieu la délivre ! – le pire nous fut épargné,
car, en attendant de s’acharner sur nous, la loi des vainqueurs s’abattait sur
les juifs. Pour son plus grand malheur, Sarah avait raison. »
     
    *
     
    En

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