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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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mon front le plus affectueux des baisers.
    « Il t’aime comme tout homme aime le fils de
sa sœur, me disait ma mère ; en plus, comme il n’a que des filles, il te
considère comme son propre fils. »
    Il devait me le prouver en maintes occasions.
Mais, ce jour-là, sa sollicitude me fut néfaste.
    C’est après m’avoir déposé à terre que Khâli se
tourna vers Mohamed.
    « Je t’attendais depuis longtemps », lui
lança-t-il sur un ton où perçait le reproche, puisque nul n’ignorait l’embarrassante
idylle qui avait retardé l’émigration du peseur.
    Les deux hommes se donnèrent tout de même l’accolade.
Puis mon oncle se tourna pour la première fois dans la direction de Warda, qui
se tenait à l’écart. Son regard faillit s’arrêter sur elle, mais il glissa
prestement vers le lointain. Il avait choisi de ne pas la voir. Elle n’était
pas la bienvenue dans sa demeure. Mariam elle-même, adorable fillette joufflue
et souriante, n’eut pas droit à la moindre caresse.
    « Je redoutais cet accueil, et c’est pourquoi
je ne me suis pas réjouie quand Warda est apparue sur le bateau, m’expliqua
plus tard ma mère. J’avais toujours supporté en silence les écarts de Mohamed.
Son comportement m’avait humiliée aux yeux de tout le voisinage, et Grenade
tout entière avait fini par se gausser de ses frasques. Malgré cela, je ne
cessais de me dire : « Salma, tu es sa femme et tu lui dois
obéissance ; un jour, de guerre lasse, il reviendra à toi ! » En
attendant, j’étais résignée à courber patiemment la tête. Mon frère, si fier,
si altier, ne pouvait pas en faire autant. Sans doute aurait-il oublié le passé
si nous étions arrivés seuls tous les trois. Mais accueillir sous son toit la Roumiyya dont tout le monde disait qu’elle avait ensorcelé son beau-frère
aurait fait de lui la risée des émigrés grenadins, qui ne sont pas moins de six
mille à Fès, et qui, tous, le connaissent et le respectent. »
    À part moi, comblé d’attentions et qui rêvais déjà
d’onctueuses gâteries, tous les miens respiraient avec peine.
    « C’était comme si nous assistions à une
cérémonie qu’un djinn malfaisant aurait transformée de mariage en funérailles,
me dit Mohamed. J’ai toujours considéré ton oncle comme un frère, et j’avais
envie de lui crier que Warda s’était enfuie de son village pour me retrouver,
au péril de sa vie, qu’elle avait quitté le pays des Roum pour venir
parmi nous, que nous n’avions plus le droit de la considérer comme une captive,
que nous n’avions même pas le droit de l’appeler Roumiyya. Mais aucun
son ne sortait de ma gorge. Je n’avais plus qu’à me tourner et à sortir, dans
un silence de cimetière. »
    Salma lui emboîta le pas sans un instant d’hésitation,
bien qu’elle fût au bord de l’évanouissement. Elle était, de tous, la plus
affectée, plus que Warda encore. La concubine avait été humiliée, certes. Du
moins avait-elle la consolation de savoir que désormais Mohamed ne pourrait
plus jamais l’abandonner sans perdre la face ; et, pendant qu’elle
tremblait dans son coin, elle avait, pour lui tenir compagnie, le sentiment d’avoir
été victime d’une injustice. Un sentiment qui blesse, mais qui met du baume sur
la blessure, un sentiment qui tue parfois, mais qui, bien plus souvent, donne
aux femmes de puissantes raisons de vivre et de se battre. Salma n’avait rien
de tout cela.
    « J’étais broyée par l’adversité, c’était
pour moi le jour du Jugement, j’étais en train de perdre ton père après avoir
perdu ma ville natale et la maison où j’avais enfanté. »
     
    *
     
    Nous remontâmes donc sur nos mules sans savoir
quelle direction prendre. Mohamed grommelait, en martelant de son poing le
garrot de sa bête :
    « Par le sol qui recouvre mon père et mes
aïeux, si l’on m’avait dit que je serais reçu ainsi en ce royaume de Fès, je n’aurais
jamais quitté Grenade ! »
    Ses mots claquaient dans nos oreilles
apeurées :
    « Partir, abandonner sa maison et ses terres,
courir les montagnes et les mers, pour ne rencontrer que des portes fermées,
des bandits sur les routes et la peur des épidémies ! »
    Il est vrai que, depuis notre arrivée sur la terre
d’Afrique, malheurs et déconvenues n’avaient cessé de s’acharner sur nous. Cela
dès l’instant où notre fuste avait accosté au port de Melilla. Nous pensions atteindre
là un havre d’islam

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