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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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qu’il s’agissait d’un détachement de soldats. Mohamed
s’empressa de leur conter dans le détail la machination dont nous avions été
victimes. Précisément, expliqua leur commandant, un sourire aux lèvres, ses
hommes et lui avaient pour mission de patrouiller sur cette route, infestée de
brigands depuis que les Andalous débarquaient par bateaux entiers à Melilla. En
général, ajouta-t-il du ton le plus anodin, les voyageurs ont la gorge tranchée
et le muletier vient récupérer ses bêtes ainsi que la part du butin qui lui
aura été laissée. Selon l’officier, beaucoup de Grenadins venus à Fès ou à
Tlemcen avaient connu semblables mésaventures. En revanche, les émigrants qui
avaient opté pour Tunis, Tétouan, Salé ou la Mitidja d’Alger n’avaient pas été
inquiétés.
    « Revenez vers le port, nous conseilla-t-il,
et attendez. Dès que se formera une caravane de marchands, partez à ses côtés.
Elle sera nécessairement accompagnée par des gardes, et vous y serez en
sécurité. »
    Comme ma mère lui demandait si elle avait une
chance de retrouver sa précieuse cassette, il répondit, comme tout homme sage,
par un verset du Coran :
    « Il se peut que vous détestiez une chose, et
qu’elle s’avère bénéfique pour vous ; il se peut que vous vous réjouissiez
d’une chose et qu’elle fasse votre malheur ; car Dieu sait et vous, vous
ne savez pas. »
    Avant de commenter :
    « Ces mules que les coupeurs de routes ont
été contraints de vous abandonner vous seront bien plus utiles que les
bijoux ; elles vous porteront avec vos bagages, et elles n’attireront pas
les voleurs. »
    Nous suivîmes à la lettre les conseils de cet
homme, et c’est ainsi qu’au bout de dix jours nous arrivâmes à destination,
exténués mais saufs. Pour constater que nos proches nous refusaient l’hospitalité.
     
    *
     
    Il nous fallait trouver désormais un toit pour
nous abriter, ce qui n’était pas facile depuis que les émigrés andalous,
arrivés à Fès par vagues successives, s’étaient approprié toutes les maisons
disponibles. Quand Boabdil avait débarqué, trois ans auparavant, il était
accompagné, dit-on, de sept cents personnes, qui avaient maintenant leur propre
quartier où la vie était encore réglée à la mode de l’Alhambra, la fierté en
moins. D’habitude, les nouveaux arrivants descendaient, pour un temps, chez
leurs parents les plus proches, ce que nous aurions certainement fait sans
Warda. Telles que les choses se présentaient, il n’était plus question de
passer une seule nuit dans la maison de Khâli, où mon père estimait, à juste
titre, qu’il avait été bafoué.
    Restaient les hôtelleries, les fondouks. Il
n’y en a pas moins de deux cents à Fès, la plupart d’une grande propreté,
dotées chacune d’une fontaine ainsi que de latrines traversées par une eau
courante à fort débit qui emporte constamment l’ordure vers la rivière, éclatée
en mille canaux affluants. Certaines ont plus de cent vingt chambres,
spacieuses et donnant toutes sur des couloirs. Les pièces sont louées
complètement vides, sans même un lit, le tenancier ne procurant à ses clients
qu’une couverture et une natte pour dormir, leur laissant le soin d’acheter
eux-mêmes leurs propres aliments pour les donner à cuisiner. Beaucoup s’en
accommodent toutefois, car les hôtelleries ne sont pas uniquement des lieux de
passage pour voyageurs, mais aussi des habitations pour certains veufs de Fès,
qui n’ont ni famille, ni suffisamment d’argent pour se payer maison et
serviteurs, qui se logent parfois à deux dans la même chambre, pour se partager
le loyer et les tâches quotidiennes, pour se tenir compagnie dans leur
détresse. Nous devions nous installer de la même façon pour quelques jours, le
temps de trouver une demeure plus décente.
    Ce n’était pourtant pas le voisinage de ces
malheureux qui préoccupait mon père, mais celui d’une tout autre engeance.
Ayant visité Fès dans sa première jeunesse, il se rappelait encore la
réputation de certaines hôtelleries, si détestables qu’aucun honnête citadin n’aurait
voulu franchir le seuil ni adresser la parole à l’un de leurs tenanciers, parce
que habitées par ceux qu’on appelle al-hiwa. Comme je l’ai écrit dans ma Description de l’Afrique, dont le manuscrit est resté à Rome, ce sont des
hommes constamment habillés en femmes, avec fards et ornements, qui se rasent
la barbe, ne

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