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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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toujours parmi ses frères un sage
pour le raisonner.
    Tels étaient ces hommes. Si humbles, et pourtant
si fiers. Si démunis, et pourtant si généreux. Si éloignés des palais et des
citadelles, et pourtant si habiles à se gouverner. Oui, telle était la race à
laquelle appartenait mon meilleur ami.
    Chaque jour, aux premières lueurs, Haroun-le-Furet
passait me prendre pour faire à mes côtés les quelques centaines de pas qui
menaient de la maison de Khâli à l’école. Parfois nous échangions quelques
racontars, parfois nous répétions les versets étudiés la veille. Souvent nous
ne disions rien, nous étions amis en silence.
    Un matin, en ouvrant les yeux, je le vis dans ma
chambre, assis au pied de l’armoire-lit sur le toit de laquelle j’étais couché.
Je sursautai, craignant d’être en retard pour l’école, et songeant déjà au
roseau du maître qui allait siffler en s’abattant sur mes mollets. Haroun me
rassura d’un sourire.
    « Nous sommes vendredi, l’école est fermée,
mais les rues sont ouvertes et les jardins aussi. Prends un bout de pain et une
banane, puis retrouve-moi au coin de l’allée. »
    De ce jour, Dieu seul connaît le nombre de nos
randonnées. Souvent nous commencions la promenade par la place des Prodiges. Je
ne sais si c’était son vrai nom, mais c’est ainsi que Haroun l’appelait. Il n’y
avait pour nous rien à acheter, rien à cueillir, rien à manger. Il y avait
seulement de quoi regarder, humer et entendre.
    Avant tout, les faux malades. Les uns se
prétendaient atteints du haut mal, se tenaient la tête des deux mains, la
secouaient vigoureusement en laissant pendre lèvres et mâchoires, puis se
roulaient à terre de façon si experte que jamais ils ne s’égratignaient, que
jamais ils ne renversaient l’écuelle posée auprès d’eux pour recevoir l’obole.
D’autres se disaient atteints de la gravelle et gémissaient sans arrêt en
feignant d’atroces douleurs, sauf si Haroun et moi étions les seuls
spectateurs. D’autres encore exposaient aux regards plaies et pustules. Je m’en
détournais bien vite, car on m’avait dit qu’il suffisait de les fixer pour
hériter des mêmes.
    Il y avait sur la place de nombreux bateleurs, qui
chantaient de sottes romances et vendaient aux gens crédules de petits papiers
contenant, disaient-ils, des formules magiques pour soigner toutes sortes de
maladies. Il y avait aussi des guérisseurs ambulants qui vantaient leurs
produits miracles et qui se gardaient bien de passer deux fois dans la même
ville. Il y avait également des montreurs de singes qui se plaisaient à
effrayer les femmes enceintes, ainsi que des charmeurs de serpents, qui
enroulaient leurs bêtes autour de leur cou. Haroun ne craignait pas de s’approcher.
Mais moi, j’étais aussi effrayé que dégoûté.
    Les jours de fête, il y avait des conteurs. Je me
souviens surtout d’un aveugle dont la canne dansait au rythme des aventures de
Hellul, héros des guerres d’Andalousie, ou du célèbre Antar Ibn Chaddad, le
plus brave des Arabes. Une fois, tandis qu’il évoquait les amours d’Antar le
noir et de la belle Abla, il s’interrompit pour demander s’il y avait dans l’assistance
des enfants ou des femmes. Tous et toutes s’éloignèrent à contrecœur, la mine
basse. Moi-même, j’attendis quelques moments, de quoi ménager mon amour-propre.
Cent regards réprobateurs s’étaient tournés dans ma direction. Ne pouvant les
soutenir, je m’apprêtai à partir quand, d’un clin d’œil, Haroun me fit
comprendre qu’il n’en était nullement question. Il mit une main sur mon épaule,
l’autre sur sa hanche, et ne bougea plus d’une semelle. Le conteur poursuivit
son histoire. Nous l’écoutâmes jusqu’au dernier baiser. Et c’est seulement
après que la foule se fut dispersée que nous reprîmes notre virée.
    La place des Prodiges occupait le croisement de
plusieurs rues passantes. L’une, encombrée par les libraires et les écrivains
publics, débouchait sur le parvis de la Grande-Mosquée ; une autre
abritait les vendeurs de brodequins et de souliers ; une troisième les
marchands de brides, de selles et d’étriers ; la quatrième enfin était
pour nous un passage obligé. Là se trouvaient les laitiers, dont les boutiques
s’ornaient de vases de majolique bien plus précieux que le produit qui y était
vendu. Ce n’est pas chez eux que nous nous rendions mais chez ceux qui, juste à
leurs portes,

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