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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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aimable, et
il n’hésita pas à nous expliquer pourquoi ce village portait un tel nom.
    Les habitants, avoua-t-il, connus depuis toujours
pour leur grande avarice, souffraient de cette réputation. Les caravanes de
marchands évitaient de s’arrêter chez eux. Un jour, ayant appris que le roi de
Fès chassait le lion dans les parages, ils décidèrent de l’inviter ainsi que
toute sa cour et, en son honneur, tuèrent quelques moutons. Le souverain dîna
donc et dormit. Voulant faire preuve de générosité, ils placèrent devant sa
porte une outre immense et convinrent de la remplir tout entière de lait pour
le petit déjeuner royal. Les habitants devaient traire leurs chèvres puis
passer chacun avec son seau pour le verser dans l’outre. Vu la dimension de
celle-ci, chaque villageois se dit qu’il pourrait couper son lait d’une bonne
quantité d’eau, sans que personne s’en aperçoive. Tant et si bien que, le
lendemain, au roi et à son entourage fut versé un liquide presque transparent
qui n’avait d’autre goût que celui de l’avarice.
    Pourtant, si je me rappelle encore mon passage
dans ce village, ce n’est pas à cause du vice incurable de ses habitants, mais
plutôt de l’indescriptible terreur que j’y ai ressentie.
    L’imam nous avait correctement reçus, et, pour
dormir, nous avait proposé une cabane en bois proche de la mosquée, avec, juste
à côté, un enclos pour nos bêtes. Warda et Mariam se couchèrent à l’intérieur ;
mon père et moi préférâmes dormir sur le toit, où par cette nuit d’été nous
pourrions profiter de la fraîcheur. C’est donc là que nous nous trouvions
quand, vers minuit, deux énormes lions, attirés par l’odeur des chevaux et des
mules, arrivèrent devant notre porte et tentèrent d’arracher la barrière d’épines
qui protégeait nos montures. Les chevaux s’étaient mis à hennir comme des
enragés, ils se ruaient contre les murs de la cabane, qui, à chaque secousse,
menaçait de s’effondrer, et ainsi deux heures durant ou plus, jusqu’à ce que l’un
des lions, sans doute excité par les milliers d’aiguilles qui le picotaient à
chaque assaut, se tourne vers la porte et se mette à la gratter et à la
labourer de sa patte. Mon père et moi observions le spectacle, impuissants,
sachant que les fauves pourraient atteindre les femmes et les dévorer, sans que
nous puissions faire autre chose que les observer du haut du toit, sauf à
vouloir nous jeter dans leurs gueules pour l’honneur. D’en bas, nous
parvenaient maintenant les cris de Mariam et les prières de Warda qui invoquait
la Madone en castillan.
    La voix tremblante, Mohamed, de son côté, faisait
un vœu : si nous nous en sortions vivants, il interromprait ce voyage pour
se rendre en pèlerinage à la ville de Taghya, déposer une offrande sur la tombe
du wali Bou Izza, un saint connu pour ses nombreux miracles contre les
lions.
    Je ne sais si ce fut l’intercession du wali la plus efficace, ou celle de la mère du Messie, toujours est-il que les lions
finirent par se lasser, et qu’aux premières lueurs de l’aube ils s’éloignèrent,
même si leurs rugissements, à peine moins effrayants, nous parvenaient encore
de la montagne toute proche. Et c’est seulement lorsque le village s’anima aux
premières heures du matin que nous eûmes le courage de quitter notre refuge.
Pourtant, avant de reprendre la route, il nous fallait attendre le passage d’une
longue caravane. Mohamed, décidé à accomplir son vœu sans retard, voulait
trouver à Meknès un groupe de pèlerins qui partaient pour Taghya.
    En arrivant là-bas, une semaine plus tard, et en
voyant l’immense foule qui se rendait comme nous sur la tombe du wali, je compris la terreur permanente qu’inspirent les lions aux habitants de l’Afrique.
Je devais m’en apercevoir plus encore au cours de mes voyages. Que de fois, en
atteignant un village, ai-je vu les gens rassemblés, tout en émoi, parce qu’une
famille venait d’être dévorée par ces animaux sauvages ! Que de fois, en
voulant emprunter une route, ai-je été détourné par des guides, pour la simple
raison que des lions venaient de décimer une caravane entière ! Il est
même arrivé qu’un seul de ces fauves parvienne à s’attaquer à un détachement de
deux cents cavaliers armés, et en tue cinq ou six avant de battre en retraite.
    Assurément, le lion est l’animal le plus courageux
de tous, je le dis sans déplaisir, puisque

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